Critique du film Le Procès Goldman

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Par Super Seven

le 07/10/2023

SuperSeven :


Le spectateur/juré à l’heure du tribunal social

Il est trop facile de glisser Le Procès Goldman dans une liste de films de procès aux scénarios ficelés et construits. Non, le dernier film de Cédric Kahn n’est pas un de ceux-là, et ce n’est pas pour l’accabler que je dis ça, mais pour louer son originalité et sa profondeur. Il est intéressant de le comparer avec le récent Anatomie d’une chute, dans lequel Justine Triet déborde d’ingéniosité pour montrer les faits (retour sur les lieux, enregistrements, reconstitutions 3D), car ici Kahn n’utilise qu’un seul moyen (à une exception près) : la parole. Tous les faits sont racontés, décrits, expliqués, et les souvenirs lointains des personnages ressurgissent dans leurs récits qui ne concordent pas, voire qui se contredisent. C’est alors que le véritable problème du langage s’expose au spectateur : tout n’est que question de subjectivité et de croyance.

La parole devient le média de la subjectivité car elle évoque chez le spectateur ses propres souvenirs oubliés. Autrement dit, l’évocation – et donc la représentation – de la scène du terre-plein (centrale dans l’intrigue) diffère chez chaque spectateur car jamais Kahn ne la filme. Chacun s’imagine alors le terre-plein du bout de sa rue, la pharmacie de son quartier, et se fait même son propre plan du commissariat selon les descriptions des témoins. Nous n’avons jamais devant Le Procès Goldman la liberté d’entendre ce que l’on veut, mais nous sommes en revanche toujours libres d’imaginer, d’interpréter et de voir ce qui nous plait.
La croyance en la parole est alors centrale, d’autant plus par l’évidente portée politique du procès en question. Kahn n’émet pas de jugement sur les témoignages, il donne même le temps aux jurés (et donc au spectateur) de bien réaliser ce qui se dit en laissant un long blanc à la fin de chaque discours. Cette neutralité s’oppose immédiatement, et souvent inconsciemment, à notre jugement subjectif qui étudie le degré de véracité selon nos convictions personnelles. Ainsi, en s’en tenant aux seuls mots, la délibération ne se fait plus en fonction des faits réels (et invérifiables), mais en fonction du degré de confiance personnel en l’institution policière, selon l’éventuelle sympathie envers un activiste d’extrême gauche, ou la foi accordée à l’authenticité de la parole d’un homme noir.

Si le procès a lieu en 1976, Cédric Kahn nous pointe donc du doigt, nous, spectateurs de 2023, qui avons toujours cette fâcheuse tendance, comme, avant nous, les jurés de l’affaire Goldman, faute de preuves, de juger seulement sur une biographie et un contexte. Comme si l’entourage, les mauvaises fréquentations, le casier judiciaire (réel ou supposé) pouvaient suffire à accabler un homme ; comme si le statut social ou une renommée pouvaient servir de totem d’immunité. Une fois l’acquittement prononcé, toujours faute de preuve suffisante pour briser la présomption d’innocence, c’est au tour du tribunal social, à l’aide de son opinion, de se faire juge de la culpabilité. C’est pourquoi tout le long du film, Goldman ne demande qu’une chose : être jugé sur les faits, rien que les faits.


Maxime Grégoire

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