Critique du film Priscilla

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Par Super Seven

le 13/09/2023

SuperSeven :

Retour aux Baz

Après la célébration exubérante du King l’an dernier (Elvis de Baz Luhrmann) où, malheureusement, sa compagne Priscilla Presley n’avait que peu de présence, Sofia Coppola — cinéaste de l’ennui et du passage à l’âge adulte — entend changer la donne avec sa relecture des mémoires de ladite Priscilla, qui revient sur sa rencontre avec Elvis et ce, jusqu’aux événements qui ont conduit à leur séparation. Cette réponse n’a toutefois rien du complément au film de Luhrmann : il en est son parfait contre/champ. Une scène l’exprime tout particulièrement : une simple discussion à l’arrière d’une voiture entre Elvis & Priscilla, qui permet à celle-ci de s’exprimer et révéler les dysfonctionnements de leur couple quand tout ceci était réduit à un quasi-hors champ et une saynète entre deux avions dans Elvis.

L’extraordinaire luhrmannien cède donc sa place au quotidien coppolien de Priscilla Beaulieu, seulement âgée de 14 ans lors de la rencontre introductive — Elvis, lui, en a 24. Elle s’ennuie à l’école en Allemagne, lui sort tout juste de l’armée, et les deux entament une relation forte, bien que discutable. Aucun jugement ici, ce qui intéresse Sofia Coppola est de questionner. Priscilla, et son idylle, relève du rêve, qui passe évidemment par les décors et la photographie, tous deux sublimes : les décors (extraordinaires, par Tamara Deverell) placent l’œil du spectateur dans celui de Priscilla, un environnement presque enfantin mêlé à l’extravagance du King, que Philippe le Sourd capture tendrement.

Quand l’émerveillement de la jeune femme (fille ?) laisse place à une certaine toxicité, voire de l’abus émotionnel (parfois, mais rarement, physique), Coppola le montre toujours sobrement. Cela passe par des lignes de dialogues, d’allure anodines, qui la plongent progressivement dans une spirale oppressante ; son évolution vers l’image d’elle que l’on connait — son eye-liner, ses cheveux noirs laqués — est « commandée » par Elvis. Pour autant, Coppola surfe toujours sur la douce ligne qui est représentative de la relation : derrière tout ce qu’il y’a de problématique dans leur amour gît une réelle tendresse de l’un(e) pour l’autre. La clé de compréhension de la complexité de leur histoire se trouve dans cette réplique d’Elvis : you’re just a baby. En réalité, Priscilla est forcée de grandir, d’observer auprès de lui, tandis qu’Elvis ne sait plus comment exprimer sainement un sentiment. Star – pour ne pas dire divinité – durant presque toute la vie de sa compagne, son âme se perd, il est un monstre enfantin coincé dans un corps d’adulte. Il aime réellement Beaulieu et elle — même si la réalité fut bien différente de ce que les magazines pouvaient montrer — l’aimait aussi.

Toute cette ambiguïté repose sur le duo d’acteurs qui porte Priscilla sur ses épaules. Cailee Spaeny — auréolée prestigieuse Coupe Volpi à Venise — s’empare du récit. Bien qu’âgée de 25 ans, elle rend l’évolution de Priscilla, d’une jeune fille vers la femme, crédible mais surtout attachante. De son côté, Jacob Elordi n’a pas la tâche facile. D’une part, il doit passer après l’interprétation remarquée – et remarquable – d’Austin Butler, mais surtout il s’agit pour lui mettre ses mains sur un monstre de la culture, sacralisé par les fans et par son Héritage (qui désavouent le film par ailleurs). Il prouve cependant une nouvelle fois qu’il est l’acteur d’Euphoria à la trajectoire la plus intéressante, rendant Elvis quasi-saturnien. Par sa taille imposante (plus d’1m90), il rend chaque étreinte étouffante et installe un rapport de domination qui passe purement par la différence physique. Aussi (et à l’image du film), son interprétation est bien plus modérée, reposant surtout sur son charisme naturel sans avoir à verser dans la performance explosive.

Où est Coppola dans tout ça ? Absolument partout. Priscilla devient une de ses nombreuses figures féminines vouées à subir un ennui terrassant ; elle est contrainte de rester à domicile, à un âge où, pourtant, elle devrait découvrir le monde – on pense alors aux filles de Virgin Suicides, à Charlotte de Lost in Translation ou encore à Marie-Antoinette. Mais c’est surtout la transition, le passage à l’âge adulte et la fin de l’innocence qui intéressent la cinéaste dans cette histoire extraordinaire. N’ayant d’autre choix que celui d’évoluer dans un environnement peu sain, mais où elle se sait considérablement aimée – notamment pour son image très enfantine et à l’écoute –, elle progresse mentalement au gré des premières années de la romance, comme si les dernières flottaient déjà autour d’elle.

Car, on l’a dit, Priscilla a tout du rêve. Une parenthèse entre deux personnes qui a fait grandir l’une d’entre elles, la faisant devenir la personne qu’elle devait être (bien qu’elle n’ait pas évoluée par le bon chemin), pendant que l’autre a pris peu à peu conscience que son rêve peut le détruire, lui et ceux qui l’entourent. Cet « amour », pourtant destructeur, semble alors lui aussi irréel. L’anachronique I Will Always Love You final le traduit bien, l’amour semblant avoir laissé place à un tendre souvenir. Les portes de Graceland s’ouvrent, et, en quittant le domaine, Priscilla garde dans son cœur une certaine tendresse. « Je voulais écrire sur l’amour et ses merveilleux, précieux moments, parfois jonchés de deuils et de déceptions, sur les triomphes et défaites d’un homme. Ressentir et sentir les joies et la douleur comme s’ils n’étaient qu’un. » dit la principale intéressée en épilogue de ses mémoires. Si ces failles d’un amour véritable ont surement touché Sofia Coppola, il faut croire qu’elles lui ont surtout inspiré son plus beau film.

Pierre-Alexandre Barillier

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