Critique du film Pixote, la loi du plus faible

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Par Super Seven

le 25/04/2023

SuperSeven :


Pixote, la loi du plus faible tend à dénoncer la vie cauchemardesque des enfants brésiliens abandonnés, à travers un style se voulant le plus réaliste possible. Dès lors, l’entreprise a quelque chose du documentaire-fiction, nourri par les nombreux entretiens mené par le réalisateur, Hector Babenco, avec ces « orphelins » — parmi lesquels Fernando Ramos Da Silva, particulièrement convaincant dans le rôle titre — et un important travail de documentation directement mis en avant. Ainsi, près de trois millions d'enfants vivent dans la rue sans famille, nous dit-on d’emblée, pour donner le ton. La violence de Pixote, rappelant celle de La Cité de Dieu (Fernando Meirelles et Katia Lund, 2002) révèle sans fard l’injustice et l'indifférence des politiques — dont le seul souci est leur image — envers ces jeunes. Babenco exhume les cadavres qu’ils dissimulent, et montre une classe sociale qui prive une autre d’accès aux soins, et ne manifeste ni remords ni émotions au décès d’un enfant.

Il suffit d’une arrestation, sans procès — et donc sans justice — pour amorcer la descente en enfer de Pixote, âgé de dix ans, et des membres de sa bande, confrontés à la corruption d’un pays sujet de mille fléaux. Il ne leur reste qu'une seule solution : s'évader de cette prison brésilienne et devenir des hors-la-loi, ou plutôt répondre à une nouvelle loi : celle de la rue, celle du plus fort. Peuvent-ils seulement être les plus forts ? Un des camarades décide de ne pas s’enfuir à leurs côtés prétextant que cela serait pire pour lui en dehors de ces murs, où ils risquent pourtant déjà la torture et parfois la mort. Commence alors une lutte pour la survie, dans un environnement aussi hostile qu’il laisse persister l’espoir de liberté.

D’où la sublime et ostentatoire intrusion de la fiction au gré d’une danse devant les phares d'une voiture, de chants en chœur lors d'un concert ou de la contemplation d'un coucher de soleil sur les plages de Rio. C’est dans la douceur de ces petits moments de flottaison que se tisse une connexion avec Pixote et sa bande, comme pour nous faire sentir, le temps d’un instant, au sein de leur groupe et vivre à leur rythme.

L’illusion ne tient toutefois pas longtemps, et l’horreur refait vite surface, renvoyant au dégoût originel. La rue reprend ses droits, et pendant qu'une femme est à la recherche de son fils disparu, des enfants assistent à la mort de leurs camarades, impuissants. Pixote, lui, continue de caresser un secret espoir de normalité, allant jusqu’à considérer une prostituée comme mère de substitution, avant qu’elle ne le rejette en comparant son visage à la forme du foetus qu’elle vient de jeter dans les toilettes. L’habitude du rejet ne le heurte même plus, et il reprend son errance.

Ce qui frappe et horrifie est son regard, vide quand bien même il a commis les pires crimes. Pixote est à l’image de sa génération : dénué de joie, d'insouciance et de rêve, sans aucun remords ; le décès prématuré de son interprète, à 19 ans seulement, renforce le malaise déjà palpable en soi. Pixote, le personnage, ne pleure jamais. Dans Trois couleurs : Bleu de Krzysztof Kieslowski, on peut entendre « Je pleure parce que vous ne pleurez pas. ». Peut-être qu’ici, face à ces enfants oubliés sur lesquels nous osons porter le regard, peut-être que nos larmes sont en réalité celles de Pixote.


Anthony Pham

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