Par Super Seven
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Ainsi se clôture cette année cinématographique : par une énième adaptation du conte de Collodi, Pinocchio. Difficile pourtant de trouver une histoire qui gagne autant en singularité à chaque film. Après la version cruelle de Comencini, celle grandiose de Zemeckis, celle carnavalesque de Garrone, la farce de Begnini et la relecture mélodramatique de Spielberg, Guillermo Del Toro, réalisateur auteur parmi les auteurs, s'y essaie à son tour et nous offre sa recette personnelle. Il est évidemment aisé de voir ce qui plaît au réalisateur mexicain dans le mythe. Le conte est sa forme privilégiée de récit, avec, entre autres, l'introduction de La Forme de l’Eau par un étonnant monologue de Richard Jenkins venant nous présenter l’histoire de « la princesse sans voix », ou encore Le Labyrinthe de Pan et sa narration par épisodes. A ceci se greffent ses obsessions, ses thèmes. D'une part l'enfance, et en particulier son opposition avec un monde en déchéance, dépeinte notamment dans le déjà cité Labyrinthe de Pan ou dans L'Échine du Diable, et de l'autre la monstruosité, dans la lignée du bestiaire de Disney. Ainsi nous avons tous les ingrédients d'une soupe faite à maintes reprises, que l’auteur cuisine à sa sauce : celle de la mort.
C’est d'ailleurs un jeu constant entre vie et mort qu'illustre Guillermo Del Toro’s Pinocchio, et ce dès son incipit : un père en deuil devant la tombe de son fils, présenté selon la grande tradition féerique par un personnage extérieur à la scène. Pourtant, les notes d’Alexandre Desplat, loin d’être misérabiliste, viennent chatouiller ce récit d’une certaine douceur. Tandis que la caméra s’approche doucement du visage de l’enfant présent sur la pierre tombale, la mélodie s’envole. Ce même garçon est désormais à l’écran, plein de vie, volant lui aussi sur sa balançoire, dans un décor de printemps qui contraste avec la montagne enneigée qui nous était montrée. C’est dans ce geste de balancement, ce balancement magique entre la vie et la mort que Del Toro place son Pinocchio, et c'est là sa plus grande réussite ; il est tout bonnement impossible de ne pas être emporté par l’humanité et la vitalité présente.
Malheureusement, à travers son côté sombre, la lourdeur inhérente au cinéma de Del Toro vient gâcher cette beauté et son entreprise. Une lourdeur burtonesque voulant que « le monstre n’est pas celui qu’on croit », où tous les antagonistes viennent s’illustrer par leur manque de nuance, leur manque d'intérêt, et leurs maladresses d’écriture, là où ceux de Disney avaient justement une forme d’ironie ambiguë pour compenser et les rendre autrement plus intéressants. Ici, une fois n'est pas coutume, Del Toro noie tout cela dans son obsession de la guerre. Le monstre n'est toujours pas l’homme antagoniste, mais l'incarnation d’un concept abstrait : la guerre, le fascisme ou le capitalisme, qui trouve son avatar dans un personnage ; la récurrence de l’opposition gamine entre l’innocence de l’enfance et la cruauté du genre humain s'avère dès lors peu émoustillante. Il excelle davantage dans le désespoir qu’il met en scène lorsque cette cruauté détruit – où sans passionner, il est efficace dans l'émotion provoquée –, ou dans la mise en oeuvre de l’arrière plan paranoïaque de La Forme de l’Eau et Nightmare Alley, respectivement sur fond de guerre froide ou de bombardements de l’Axe écoutés à la radio.
Il faudrait cependant prendre exemple sur Gepetto. Alors qu'il serre dans ses bras le cadavre de Pinocchio, son deuxième enfant mort, et que la fée bleue lui déclare « mon seul souhait était de vous apporter de la joie », il ne peut que répondre : « vous l’avez fait, vous m’avez apporté de la joie ». Ainsi, il est beau de se laisser emporter dans ce film qui est à l’image de la carrière de son auteur, imparfait mais dégoulinant d’émotions, et de nous souvenir surtout de la joie éprouvée. Celle de voir un enfant se balancer sur une mélodie de Desplat, deux enfants s’amuser dans un champ de bataille ou encore un chimpanzé en stop motion doublé par Cate Blanchett, mais surtout celle d’être pris dans cette mélancolie gaie, en voyant tous les compagnons de Pinocchio, tout ce bestiaire en pâte à modeler, partir les uns après les autres tandis que le pantin en bois continue sa quête de devenir un vrai petit garçon, un être apprenant à vivre et à mourir.
Victor Abouaf