Critique du film Pierre Feuille Pistolet

logo superseven

Par Super Seven

le 22/10/2023

SuperSeven :


L’édition 2023 du Festival du cinéma polonais Kinopolska a vu une œuvre se démarquer du reste. D’abord parce qu’il s’agit du seul documentaire de la sélection, et ensuite parce qu’il est certainement le plus dur dans son sujet, celui d’une guerre qui se déroule alors même que la projection est en cours. Il est rare qu’un film nous confronte aussi directement à l’actualité ; la télévision ou les réseaux sociaux ont ce rôle d’ordinaire. Or, le fait que le cinéma rende hommage à ces familles est encore plus impactant et élève le projet au rang de document historique, trace immuable du conflit quelle qu’en soit l’issue. Pierre, feuille, pistolet est, comme on peut l’imaginer, un film poignant par son sujet, mais aussi par la façon très personnelle avec laquelle sont racontées les histoires, puisque Maciek Hamela laisse directement la parole aux personnes concernées. Ainsi, pas de sentimentalisme néfaste, ni de musique pathétique, seulement des témoignages.

Pour illustrer de la manière la plus brute possible cette réalité, Maciek Hamela et son équipe ont trié plusieurs mois les 450h de rushes issus d’un tournage presque sans interruption, pendant les premiers mois de l’invasion russe en Ukraine. En effet, dès les premières semaines du conflit en février 2022, Maciek part en Ukraine et achète un van pour faire des allers-retours avec des familles entre le front de l’Est et l’Ukraine de l’Ouest, voire la Pologne. Rapidement rejoint par un chef opérateur, ils se procurent une caméra et le tournage commence. Les trajets, longs de centaines de kilomètres et ralentis à cause des barrages militaires et autres routes détruites, permettent l’installation d’un dialogue avec les passagers. Ceux-ci, parfois dans le besoin de parler, racontent leurs histoires personnelles dans un climat de confiance permis par le dispositif mis en place par Maciek. Avant même d’embarquer, les passagers sont prévenus qu’ils vont être filmés, puis, pour n’obliger personne à signer, les autorisations de droit à l’image ne sont demandées qu’une fois arrivés à destination, ce qui permet aux civils de se confier sans peur de ne pouvoir revenir en arrière. Cette démarche est importante à préciser pour se rendre compte de sa sincérité, notamment face à la question de la représentation de ces personnes et de leurs histoires.

Le but principal du voyage d’Hamela étant d’aider les populations, le tournage se fait presque exclusivement dans sa voiture, havre de paix étonnant et confessionnal dans lequel on se sent en sécurité. Le van agit donc comme le fil rouge d’une réalité qui se tisse au gré des différentes histoires. Cela procède toutefois du montage, entreprise colossale et certainement difficile ici. Chaque coupe semble être dictée par l’envie d’opérer la représentation la plus globale des différents enjeux. Les situations se suivent et reviennent, dans une sorte de patchwork qui permet de faire un tour d’horizons du point de vue des réfugiés sur l’invasion. Un « simple » transit vers l’Ouest précède parfois un cas plus urgent, à l’image de la jeune femme blessée pour laquelle le van se transforme en ambulance de fortune. A l’inverse, le danger, lui, plane en permanence et irrigue tous les récits. Chaque barrage militaire rencontré agit comme le refrain d’une chanson inquiétante, et voit la même question – qui est le titre original – revenir inlassablement, à laquelle il faut répondre vite et sans hésitation pour ne pas risquer plus de complications : Skąd dokąd ?/ D’où, vers où ? Ces arrêts sont aussi les rares occasions d’apercevoir le cinéaste, humble Charon des temps modernes qui remonterait le Styx dans un geste de résistance à l’élan de vitalité salutaire.


Mathis Slonski

pierre feuille image.jpeg