Critique du film Perfect Days

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Par Super Seven

le 06/12/2023

SuperSeven :

La beauté du geste

Cinéaste de l’errance et du voyage, tant extérieur qu'intérieur, Wim Wenders a pris l'habitude au cours de sa carrière de poser sa caméra aux quatre coins du globe afin de capter avec un œil neuf les dynamiques locales. Après avoir parcouru les États-Unis de long en large, traversé le Portugal, l’Italie, le Canada, et même la terre entière dans Jusqu’au bout du monde, c’est au Japon, plus particulièrement à Tokyo, que l’Allemand décide de réaliser son nouveau film-étude sociologique, Perfect Days. Une ville qu’il avait déjà mise en scène dans son documentaire Tokyo-Ga, où il suivait les traces de Yasujiro Ozu, et dont l’environnement urbain ultra-cadré contraste avec les routes et les paysages infinis qu’il aime filmer.

La démarche documentaire occupe d’ailleurs une place cruciale dans le cinéma de Wenders, en particulier cette année avec la sortie, en amont de Perfect Days, d'Anselm, consacré à l'œuvre de l’artiste Anselm Kiefer. Une double casquette qu’il se plaît à utiliser sans trop de distinction, en mettant en scène la réalité et en cherchant la neutralité dans la fiction. Ainsi, le dispositif déployé dans Perfect Days semble simple, mais il serait idiot de le qualifier de simpliste. En effet, Wenders place sa caméra – et par extension son spectateur – dans la routine d’Hirayama, un homme au quotidien banal rythmé par son métier d’agent de nettoyage des toilettes publiques. Un protagoniste peu caractérisé, du moins de manière directe. Il parle peu, ne montre quasiment aucune émotion et effectue son travail de manière mécanique. Sa playlist est celle de n’importe quel homme de sa génération (Rolling Stones, Lou Reed ou encore le traditionnel House of the Rising Sun), comme s'il ne pouvait pas sortir de la norme, même dans ses goûts. Ses routines et ses micro-gestes répétitifs, qui vont de son lever – doublé d’une hygiène corporelle matinale très ritualisée – à sa manière de nettoyer chaque lavabo ou cuvette, dessinent ainsi une vie parfaitement rangée et pourtant incomplète.

Ce quotidien solitaire est enrichi par de petites interactions qui s'immiscent dans le cadre en quatre tiers, le plus souvent fixe, délimitant les rituels d’Hirayama. De subtiles variations aussi poétiques que poignantes (un passant qui le remercie quand les autres ne lui prêtent d’ordinaire aucune attention) se développent en parallèle d’un bouleversement plus important dans sa vie : l’arrivée de sa nièce, indépendante et libre de tous les carcans sociaux qu’on voudrait lui imposer. Ce choc générationnel est une manière de confronter les regards sur la société japonaise, connue pour sa rigueur oppressive et son injonction passive à ne pas sortir du moule et à œuvrer pour la société en dépit de son bonheur personnel. Son métier n’est d’ailleurs pas anodin, puisqu’il doit s’efforcer chaque jour de nettoyer les toilettes tokyoïtes, toutes plus stylisées les unes que les autres, pour voir ses efforts littéralement souillés quelques instants plus tard par des inconnus ignorant son travail. Wenders se place pudiquement en observateur de ce phénomène, utilisant ce personnage sans recul sur sa condition pour nous interpeller. Puis, en portant son regard sur ce qui l’entoure, il lui apporte quelques instants de plaisir – un simple rayon de soleil qui traverse un feuillage, ou d’un livre d’occasion captivant – pour mettre en valeur la nécessité de cultiver cette part d’individualité. Celle-ci s’exprime au gré des photographies que prend Hirayama pour immortaliser ces éclairs d’apaisement, renvoyant l’apparemment inaccessible à l’idée d’expérimentation à prolonger.

Le plan final qui montre son visage de face, de près — comme si l’on s’autorisait enfin à vraiment le regarder —, dans un rictus entre fou rire et crise de larmes est un brin mélodramatique, mais il contient néanmoins toute la fracture qui s’élargit en Hirayama au fil du récit, lui qui est tiraillé entre l’obéissance aux normes ancrées en lui et cette envie de plus, entre son ouverture sincère aux autres et son palais solitaire qui le protège du mépris de ces derniers.


Pauline Jannon

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