Critique du film Palombella Rossa

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Par Super Seven

le 22/08/2025

SuperSeven :


Vers un avenir radieux ?

Une ouverture musicale sur l’acteur-réalisateur chantonnant au volant d’une voiture dans les rues de Rome : impossible de s’y tromper, nous sommes bien dans un film de Nanni Moretti. D’emblée, Palombella Rossa (son sixième long-métrage), s’ancre dans un rapport constant entre passé, présent et futur, fil rouge thématique qui parcourt les décennies jusqu'à Vers un avenir radieux (2023). Dans cette première séquence, l’italien grimace à des enfants assis à l’arrière de la voiture qu’il suit : se moque-t-il de cette jeunesse, de ceux qui représentent l’avenir ? Pas si sûr, puisque les pitreries du personnage lui valent un accident avec pour conséquence une amnésie brutale, laquelle amène Michele Apicella (alter ego récurrent de Moretti) à tâtonner pour retrouver une identité que chacun essaye de lui imposer.

« Tu te souviens ? Tu te souviens ? » lui répète-t-on. Joueur de water-polo, politicien, communiste, de quoi Michele doit-il se rappeler exactement ? De son enfance au bord de la piscine où il est forcé à « sauter dans le grand bain » sous le regard bienveillant de sa mère ? De l’émission télévisée où il aurait eu un geste fort et inspirant aux yeux de tous mais dont il n’a aucun souvenir ? Ou simplement des stratégies d’attaque matraquées par son coach (Silvio Orlando) pour remporter un match décisif pour la saison de son équipe ? L’amnésie peut paraître bénéfique dans un premier temps, elle coupe de la violence ambiante, elle distancie des échecs ou des actes regrettables du passé. Mais elle laisse aussi Michele sans voix et sans position, tandis que tous ceux qui l’entourent fabriquent questions et réponses ; on pense notamment à une interview qu’il donne en tant que leader du parti, où la journaliste ne s’exprime qu’avec des expressions préconçues pour diriger l’entretien sans tellement s’attarder sur l’agacement de son interlocuteur, symbole du creux thématique des médias qui s’intéressent plus à trouver de jolies formules qu’à offrir de véritables interrogations politiques. Une mélancolie solitaire que l’on retrouvait déjà dans les précédentes oeuvres de Moretti (de Je suis un autarcique à La messe est finie en passant par Sogni d’oro ou Bianca), matérialisée par des va-et-vients d’un Michele isolé dans de vastes cadres tandis que les autres paraissent figés ; un mouvement avant de la caméra ou un zoom le rejoignent parfois pour terminer en gros plan sur fond de monologue intérieur.

« Mais depuis combien d’années je parle tout seul ? » Une question que s’adresse Michele-Nanni alors qu’il tente de passer du mutisme à des réflexions à voix haute, lesquelles ne sont pas pour autant mieux entendues par son entourage. Cette idée méta-réflexive sur l’adresse de son discours est appuyée par l’insert de séquences de La sconfitta (« La défaite » en français), son premier court-métrage relatant ses interrogations de jeunesse comme militant au sein du PCI, qui entrecoupent le récit au même titre que les rêveries ou souvenirs d’enfance de Michele afin de reconstruire petit à petit les motivations qui l’animent. C’est l’idée de La sconfitta où Nanni se questionne sur les raisons qui l’ont poussé à devenir communiste. La réponse est naturelle : ne plus être seul, partager une lutte avec d’autres gens, et préparer les futures générations. Sans doute une réparation pour le petit Michele que les différents flashbacks montrent entouré mais rarement écouté lorsqu’il affirme ses désirs (ne plus vouloir nager), ou sa détresse d’enfant lorsque les lourds sacs de courses craquent sur le chemin vers sa maison.

Après une confusion qui gagne l’écran au travers de cet entremêlement de temporalités, ces cris venant de toute part, le discours politique, le sport, la famille… c’est finalement un certain utopisme qui reprend le dessus sur le chaos, avec l’idée que si l’individu ne parvient pas à s’exprimer, il peut trouver un choeur dans le collectif. Moretti, lui-même joueur de water-polo dans sa jeunesse, fait dire à Michele que ce n’est pas tant la pratique de ce sport qu’il aime, mais plutôt son aspect rassembleur, non seulement entre les coéquipiers mais aussi avec les adversaires, le public… Le réalisateur en appelle alors à une forme réalisme magique pour multiplier ces instants de communion lorsque toute la foule s’adresse à l’unisson au poste de télé qui diffuse Docteur Jivago de David Lean, ou se met à reprendre de concert I’m on fire de Bruce Springsteen au beau milieu du match.

La prévisible défaite de son équipe suite à un pénalty raté de Michele rappelle les répercussions collectives de l’échec individuel et donne aujourd’hui une dimension prophétique à Palombella Rossa : le Parti Communiste Italien a été dissous deux ans après la sortie du film. Il semble toutefois regrettable d’y voir une conclusion cynique, d’autant plus face à l’onirisme de l’ultime scène où tous les personnages (y compris les versions adultes et enfant de Michele) sont réunis et tournés vers un décor en carton de soleil (« le soleil de l’avenir », soit la traduction littérale du titre original du dernier film de Moretti — Il sol dell’avvenire). Un arrêt sur image fige l’éclat de rire du petit Michele, réponse aux grimaces de l’ouverture avec l’espoir joyeux d’un rassemblement entre toutes ces âmes tourmentées qui ne pourront retrouver la voie du dialogue qu’en regardant dans la même direction.


Pauline Jannon


Ressortie de Palombella Rossa en salles le 3 septembre 2025 par Malavida Films. Séance présentée par Super Seven le mardi 16 septembre à 20h15 au Reflet Médicis.

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