Critique du film On dirait la planète Mars

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Par Super Seven

le 01/08/2023

SuperSeven :


Dans un futur proche, la première mission habitée envoyée sur Mars est en péril. L’agence « Viking » recrute alors cinq « versions B » des astronautes pour anticiper et régler les conflits mais depuis la Terre. Ainsi, si les inconnus sont psychologiquement identiques, ce ne sont pas des astronautes, et ils ne sont pas sur Mars.

A partir de cette situation initiale, On dirait la planète Mars pourrait se cantonner à des blagues attendues sur la dualité. Il en joue, certes, mais celles-ci servent avant tout à appuyer l’absurdité du contexte, laquelle amène surtout à la perte d’identité et de contact avec le réel. Stéphane Lafleur montre une aliénation qui envahit les personnages ; tous sont soumis à la question du « faire semblant », de jouer la comédie ou encore d’imiter. Certains essayent de s’en dégager, d’autres s’y laissent prendre pour les nécessités de leur entreprise et de leur « rôle », faisant de l’individualité ce qui prime sur le collectif. L’exemple le plus frappant de rejet est celui de Liz, version B d’une femme incarnée par un homme, ce qui ne manque pas de poser des soucis d’identification.

Qu’est-ce qu’être spécial ? Comment réagir face à une situation qui nous dépasse ? Ou, en résumé, qu’est-ce que se retrouver dans la marche de l’histoire ? Sans répondre à toutes ces interrogations, On dirait la planète Mars les traite avec originalité. Les problèmes les plus futiles côtoient les plus capitaux, du nombre de sucres dans un café aux troubles liés à l’isolement prolongé – une vraie problématique des agences spatiales concernant les missions sur la planète rouge – en passant par le prêt d'un stylo. C’est d’ailleurs là que réside le ton du film : la problématique du nombre de sucre dans un café est un problème qui semble absurde et qui peut prêter à rire, mais cela renvoie aussi à l’impératif de rationnement, à l’identification au double, tout en étant un vecteur de conflit ou, à l’inverse, de complicité.

Les individus ne sont ainsi pas tant liés par leur grande mission que par le quotidien le plus simple, et l'entraide a bien plus d'impact relationnel que les mots. D'autant que les discussions sont contraintes par des règles visant à éliminer tout conflit par l'instauration d'un cadre autour de chaque dialogue. C'est le but des réunions journalières, mais aussi de la phrase conclusive imposée « Je suis content d’avoir eu cette conversation », laquelle glisse rapidement vers l’hypocrisie et rend les rapports humains artificiels. Seuls les gestes maintiennent un semblant de réalité, mais cette accroche est brisée par les fausses sorties sur le sol martien.

Ce jeu de surface et d'artificialité, autant que le contexte initial, place le récit dans un registre proche de celui de la téléréalité : cinq hommes et femmes confinés dans une maison sans contact avec l’extérieur, qui sont obligés de rendre des comptes à intervalle régulier. Il s'agit donc de vivre en groupe, en étant un autre que soi, tout en étant le plus plus naturel possible. Chacun est un avatar, et le méta-verse ou tout simplement les réseaux-sociaux ne sont pas loin, avec la même distance étrange – malgré la proximité promise – que ceux-ci offrent. Le spectateur est renvoyé à l’état de voyeur, observant les faits et gestes de chacun des personnages, et prenant le parti des uns ou des autres sur la seule base de leurs actions en tant que double.

Une position qui rappelle le cinéma de Stanley Kubrick – notamment la fameuse scène de 2001, L’Odyssée de l’espace où H.A.L. espionne les deux astronautes en lisant sur leurs lèvres – dont Lafleur est un adepte assumé, et dont il reprend ici les questionnements posés il y a cinquante ans. Si les costumes rappellent ceux de On a marché sur la lune d’Hergé, le radio-réveil est lui un écho évident à H.A.L, d’autant que, comme cette précédente I.A., il impose des choses aux personnages. C’est principalement par la situation que l’écho à Kubrick est le plus profond : l’absurde du voyage pour chercher à vivre ailleurs que sur Terre, qui frappe d’autant plus que cette problématique persiste.

Toutefois, la justesse d'On dirait la planète Mars dans sa narration et ses relations ne se retrouve pas du côté de la mise en scène, moins inspirée. Quelques bonnes idées demeurent néanmoins, comme la représentation de la planète Mars en inserts, la réduisant à une sorte de mirage, ce qu’elle est dans l’esprit des protagonistes. L'entreprise reste cependant réussie, avec ce savant mélange de réflexions et d'humour sur l'humain, lequel, qu'il soit sur la planète bleue ou la rouge, semble aujourd’hui comme demain en proie à l’aliénation.


Mathis Slonski

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