Critique du film Nuevo Orden

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Par Super Seven

le 04/09/2021

SuperSeven :

Couronné du Grand Prix du jury à la Mostra de Venise 2020, c’est dans un silence assourdissant que Nouvel Ordre (Nuevo Orden en espagnol) a fait ses premiers pas dans nos salles Suisses. Pourtant son sujet plus qu’actuel frappe en plein coeur une société en ébullition. Le long-métrage de Michel Franco se veut alarmant, mais dans quel but ? Si le choc qu’il provoque est sévère, son impact sur les mentalités risque de diviser.
Le message est-il transmis ?
 
Pour introduire son sujet, Michel Franco fait le choix de révéler des plans épileptiques de sa future intrigue, en livrant des séquences esthétiques, à mi-chemin entre la performance et le cinéma d’auteur. Aussi brefs qu’efficaces, ces tableaux sociétaux permettent aux spectateurs d’accéder au premier message porté par le long-métrage ; le danger est omniprésent, il est à nos portes, prêt à frapper à chaque instant. Le réalisateur l’a bien compris, pour instaurer une ambiance pesante, faites ressentir la peur dès l’ouverture. Ainsi, la tension ne perd jamais de sa superbe, même dans une scène qui se veut désamorçante. Passé le prologue, les plans contrastent justement avec le soin des premiers instants, présentant sans prétention les deux pôles de la société : la pauvreté à Mexico dans un hôpital surchargé, opposé à l’ambiance d’une fête privée dans une villa mondaine fortifiée. Une exposition qui manque peut-être de subtilité dans son côté plan-plan tant dans son ambiance sonore que dans son aspect visuel ; un ton maladif et assourdissant pour la misère, un teint ensoleillé et musicalement entraînant pour les hautes sphères.
 
La pression ne redescend pas, grâce à des inégalités qui interviennent habilement dans la tour d’ivoire. Alors que des manifestations dévastent la capitale, on célèbre le bonheur dans la naïveté et l’indifférence à quelques kilomètres seulement. La couleur verte est instantanément associée à la rébellion, et son omniprésence dans le décor pousse le spectateur à chercher continuellement les détails qui rappellent au Nouvel Ordre ; des tâches de peinture à la verdure florissante qui entoure le palais en passant par la couleur de l’eau, la tension s’aiguise en finesse. Si aucun personnage principal n’émerge, c’est pour mettre en avant le fonctionnement de cette micro-société qui juxtapose la noblesse à leurs domestiques. Tout n’est que comparaison des pôles, physiquement, mentalement et même émotionnellement. Le stress engendré par la quantité conséquente de travail se fait ressentir à chaque instant du côté des serviteurs, perpétuellement sollicités par les mondains, lesquels préfèrent s’inquiéter pour des futilités d’apparence. Les premiers se résignent dans leur pauvreté tandis que les seconds vivent dans l’insouciance.
 
Dans le premier tiers, une histoire de charité au cœur de la bulle mondaine nous occupe. Rolando, un parasite miséricordieux interprété à la perfection par Eligio Meléndez, trouve la pitié dans le personnage de Marian (incarné par la fascinante Naian Norvind). La future mariée s’entiche de la cause, mais ne serait-ce pas là un cas de figure d’égoïsme altruiste ? Agit-elle par pur humanisme ou par bien-pensance ? Difficile d’en tirer une conclusion, même si une séquence révélatrice permet par la suite de comprendre son détachement avec la misère ; alors qu’elle part en quête de financement pour aider Rolando, une longue scène de baiser avec son futur époux coupe sa priorité altruiste.
 
Survient plus tard un coup d’état inévitable et profondément confrontant, où les rôles s’inversent en un claquement de doigt – symbole de la frontière friable entre les pôles – avec, pour entamer l’ultime chapitre, le retour des tableaux sociétaux (similaires à ceux d’ouverture avec une différence notable, le danger ne menace plus, il a déjà sévi).
Malheureusement les scènes qui s’enchaînent sont téléphonées et volontairement choquantes, cassant ainsi toute trace de manichéisme. Un choix évident qui souhaite – à ce stade – ne prendre aucun parti. Là où la montée en puissance initiale était insoutenable, le propos perd en clarté en opposant des forces armées quasi-identiques. Ce qui pourrait être vu comme une qualité, le mal à plusieurs uniformes, intervient comme un frein à la compréhension.
 
Tout contraste s’efface alors, et les dernières séquences ne sont qu’une accumulation de violences indissociables où gouvernement et Nouvel Ordre se joignent dans le vice.
Deux éléments persistent: l’idée qu’une hiérarchie rebelle dysfonctionne tout autant que celle remplacée – en créant des inégalités dans des inégalités où chaque membre de la révolution finit par céder à l’avarice et la cupidité – et celle qui expose la noblesse à la propreté. Chaque environnement présenté où la richesse domine s’avère brillant, patiné et épuré de toute crasse… Mais grâce à qui ? Le final promeut les résignés, tandis que les réfractaires sont indirectement condamnés.
Comment peut-on décemment en tirer une leçon ?
 
Une fois le générique de fin amorcé, la consternation règne. En commençant sur les chapeaux de roues, offrant au public un paysage saisissant qui brille par ses traits d’injustices dans un décor saveur truffe - caviar, Nouvel Ordre se perd dans sa volonté absolue de tâcher les deux pôles sociaux. Certes, l’idée était cernée dès le départ mais elle s’essouffle en s’acharnant sur le sujet jusqu’à la fin. Le classicisme de la mise en scène dans sa globalité peine à se démarquer des fameux tableaux sociétaux qui, eux, soutiennent le montage. Si l’idée fonctionne à l’écran, elle ne se renouvelle jamais, tout comme les mentalités après le visionnage. Le film de Michel Franco se clôt sur un tambourinage militaire et un goût amer qui rime avec la citation finale de l’œuvre par Platon, résumant à elle seule le script (et la société actuelle):
« Seuls les morts ont vu la fin de la guerre ».


Léo Augusto Jim Luterbacher

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