Critique du film Novembre

logo superseven

Par Super Seven

le 24/10/2022

SuperSeven :


COUP DE CHANCE, NOVEMBRE, LE NOUVEAU CÉDRIC JIMENEZ, N'EST PAS RACISTE. PAS DE BOL, CE N'EST TOUJOURS PAS UN BON FILM.

On parle sans doute beaucoup trop de Cédric Jimenez dans les médias par rapport à la trace que ses films laisseront dans l’histoire du Cinéma. Il serait d’ailleurs sans doute le premier à le reconnaitre, lui, petit prolo marseillais fan d’Amérique, dont la figure est devenue depuis deux ans symbole de repoussoir ou d’étendard d’un pays remué par des convulsions identitaires qui ne cessent de s’antagoniser. Car finalement, quel est le CV de l’intéressé ? Quelques polars corrects : Aux yeux de tous, HHHH (adaptation Goncourisée et internationale du roman de Laurent Binet) et La French, déjà avec Dujardin et sa mine des films sérieux. Mais surtout Bac Nord, il y a deux ans, qui fit couler l’encre de beaucoup de plumes de France et pas que celles des critiques de cinéma. Un film d’une bêtise politique totale qui ne tenait que sur quelques coups d’éclats d’actionner lors d’une première heure enragée avant de s’ensabler une fois les fusils – et les hommes – remisés au placard, mais qui plut à la présidente du RN, une grande cinéphile comme chacun le sait. Le succès du film (deux millions d’entrées) propulsa Jimenez comme récréation polémique d’un cinéma français dont la – certaine – tendance est plutôt au ronronnement politique, et généra une attention singulière sur son nouveau film, Novembre.

Ce rapide tour d’horizon filmographique instruit sur la chose suivante : ce qui intéresse Jimenez c’est l’action, et surtout l’action telle qu’elle est imaginée et montrée dans les films américains, plus précisément l’imaginaire hollywoodien. Ses mentors sont de l’autre côté de l’Atlantique : William Friedkin, Paul Greengrass, Peter Berg et Kathryn Bigelow, dont le Zero Dark Thirty (2012) est ici évidemment le modèle de Jimenez. Novembre reprend la même idée d’une traque terroriste, à ceci près que là où le récit s’étirait sur dix ans chez la réalisatrice de Point Break, Jimenez, lui, ramasse l’action sur cinq jours, soit le temps que la SDAT (Sous Direction Anti Terroriste) a mis pour retrouver les terroristes responsables du carnage du 13 Novembre.

Attentats, terrorisme, Police : de tels sujets poussent le Marseillais – et son scénariste Olivier Demangel – à la prudence, d’autant que la plaie coule encore. Novembre est au ras des évènement, refuse de montrer les attaques au Bataclan et des terrasses, se veut le plus factuel possible en montrant uniquement le travail de la brigade. En interview, le duo a insisté sur la lourde documentation effectuée en amont du tournage, le respect du tragique de l’évènement, si bien que le terme de docu-fiction est beaucoup revenu pour décrire le film. C’est là sa première imposture : Novembre n’a de documentaire que son épais tas de recherches. Tout le reste n’est qu’un enfumage fictionnel, une fragrance Hollywoodienne comme ceux que Jimenez a toujours vaporisé depuis ses débuts ; le film est rectiligne, dénué de complexité. Il saute d’un indice à l’autre comme dans un épisode de 24h chrono. Les flics de la brigade ont naturellement des gueules de cinéma (Dujardin, dont certains baragouinements en arabe conduisent le film vers un comique involontaire), les interrogatoires sont forcément musclés, le ciel de Paris évidemment gris et métallique. Qui pourrait croire un instant qu’un inspecteur de la brigade anti-terroriste perde ses nerfs lors de la garde à vue d’un terroriste en lui assénant une claque ? Les plus hypermnésiques d’entre nous se rappellent sûrement aussi que l’assaut final pour abattre les terroristes dura sept heures, réduites ici à une poignée de minutes. C’est donc de la combustion mythologique que travaille Jimenez, non de la matière réelle.

Effrayé par rapport à la force nucléaire de l'événement qu’il manipule, le Marseillais exclut aussi toute psychologie. En voulant éviter le sentimentalisme, il se coupe du sentiment tout court. Son film n’a pas de personnages, seulement des acteurs. De Dujardin, Demoustier, Kiberlain que sait-on ? Qu’en restera-t-il ? Des fonctions. Des corps qui courent dans le champ, froncent les sourcils, affichent des visages soucieux et/ou désemparés dans des couloirs grisâtres. Une énergie volatile. Expurgé d’assise dramaturgique, Novembre est donc réduit à n’être qu’une pure expérience de tension, un shot futuroscopique immersif. Mais même sur ce terrain-là, il échoue à moitié. Si sa faible durée (1h40 générique compris) lui assure une certaine efficacité, l’enquête est ici avant tout une enquête de bureau. Des coups de téléphone, de la filature, des discussions de cadres en costumes. Le cinéaste se trouve privé de son jouet favori, et sans doute celui qu’il est le plus à l’aise à triturer : fabriquer de la scène d’’action. A savoir avant tout disposer les signes de l’’action qu’il aime : les gros bras, les flingues, les insultes, les voitures qui se poursuivent en faisant hurler le bitume. Tout cela il n’en a pas. Mais peu importe. Si l’action n’existe pas dans la réalité, il faut l’inventer. D’où un film qui parait constamment en alerte, sur le qui-vive, traversé par un montage ultra nerveux, sorte d’ersatz bournien très en retard et sans le génie de Greengrass pour l’assembler. Pas un plan fixe ne vient stopper le flux d'images. Novembre est comme une bande passante hyperactive qui jamais ne s’arrête, et comme elle ne s’arrête pas, elle ne regarde pas, et ne pense donc pas, ou très basiquement.

Car voici la seconde imposture, peut-être la pire. Novembre serait dépolitisé. L’argument fut répété en masse lors de toute la campagne promotionnelle, et abondamment relayé par une grande partie de la presse. La pénétration d’une telle notion dans le champ critique laisse songeur, tant il semble évident qu’une œuvre n’est jamais que politique. D’autant que, faire un film sur le terrorisme en omettant délibérément toute réflexion géo-politique-sociale procède d’un geste éminemment politique, qui a des conséquences tout à fait politiques. Là où l’on dépolitise, l’on pollicise. Que reste-t-il à dire du terrorisme une fois tous ces éléments écartés ? Qu’il faut traquer et tuer les terroristes jusque dans les chiottes, ce que le film finira par faire, dans un déluge de feu cathartique. Novembre achève d’ailleurs son coming out patriotique lors de son ultime scène, lorsque le soldat Dujardin donne un final speech où il salue ses hommes après les cinq jours de traque, tout en avertissant que la guerre ne fait que de commencer, sous une mélopée martiale.
En voyant un tel film, certains responsables politiques doivent regretter que les isoloirs ne se situent pas désormais à la sortie des salles de cinéma.


Alexandre Lehuby

novembre image.jpeg