Critique du film Napoléon

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Par Super Seven

le 01/12/2023

SuperSeven :

Stupeur, tremblements et émotions sur la planète cinéphile et la francophonie à part entière : nous sommes en octobre 2020 et Ridley Scott vient de sortir Le dernier duel. Il s'apprête par ailleurs à enchainer avec l'excellent House of Gucci, et voilà qu'entre les deux projets, le réalisateur, plus prolifique que jamais, annonce la préparation d'un biopic sur Napoléon. Repris d'un projet avorté par la Fox, alors intitulé Kitbag (de l'expression “There is a general’s staff hidden in every soldier’s kitbag.”, en français : “Il y a un bâton de maréchal caché dans le paquetage de chaque soldat.”), le film promet de dépeindre l'ascension du jeune Napoléon ainsi que sa relation tumultueuse avec sa première épouse Joséphine de Beauharnais.

Traiter l'histoire d'une figure historique et politique de l'importance de Napoléon au XXIè siècle ne peut que susciter des émois. En effet, figure comptant probablement autant d'admirateurs que de détracteurs, l'adaptation de sa vie par David Scarpa (déjà à l'œuvre sur le scénario de Tout l'argent du monde, de Ridley Scott également) fut sujette à discussion bien avant sa sortie, et ce parfois en oubliant totalement qu'il s'agissait avant tout d'un objet cinématographique et non d'un manuel d'Histoire ; sans oublier les présupposés sur la partialité d'un récit mis en images par un ressortissant de la Perfide Albion (l'Angleterre donc, pour les étourdis du fond), qui ne pourrait donc avoir qu'aigreur et ressentiments envers l'illustre promulgateur du Code civil.
Le casting de Joséphine de Beauharnais posa également problème. Il est connu que celle-ci affichait une différence d'âge de six ans par rapport à son époux, et l’annonce du recrutement de Jodie Comer (déjà présente et formidable dans Le dernier duel), elle-même dix-neuf ans plus jeune que Joaquin Phoenix (choisi pour incarner Napoléon) provoqua un véritable tollé sur les réseaux sociaux. Comer s’est finalement désistée, à la faveur d'un conflit d'emploi du temps, laissant sa place à Vanessa Kirby.
Mais qu'en est-il de Napoléon, le film ?

Dans une démarche qui n'est pas sans rappeler celle d'Alexandre Dumas et son traitement des événements qui constituèrent la Fronde dans Vingt ans après (second volet de la trilogie des Trois Mousquetaires), ou encore sa personnalisation de Louis XIV toute personnelle dans Le vicomte de Bragelonne (troisième volet de la même trilogie), Ridley Scott ne se gêne pas pour faire l'amour à l'Histoire de France, nous laissant sur les bras un enfant turbulent mais franchement tout ce qu'il y a de plus sympathique. Loin d'être une « simple » reconstitution de la carrière du célèbre Empereur comme en pond Josée Dayan au petit déjeuner, et plus loin encore d'être une hagiographie, Napoléon est avant tout une cristallisation de la misanthropie de Ridley Scott sur un personnage avec lequel il est en désaccord complet, et sur lequel il vomit son mépris tout au long de sa mise en scène, d'une manière absolument jubilatoire, aidé par le jeu cabotin d'un Joaquin Phoenix porcin à souhait. Le réalisateur britannique ne nous livre rien de moins qu'une farce aux dépends d'une figure majeure de l'Histoire de France. Farce qui pâtit tout de même d'un déséquilibre dans sa tonalité. Le heurt entre le second degré apporté par les erreurs de perception de Bonaparte et le premier degré gravissime des événements historiques dépeints n'arrive jamais tout à fait à se mêler correctement. Chose dommageable tant il est impossible de bouder son plaisir une fois admis que l'on assiste à une satire tellement franche du collier que certains spectateurs pourront regretter que sa subtilité ne dépasse jamais le stade du mec bourré à La Villageoise, et que des mauvaises langues pourraient résumer de la manière suivante : « Alors c'est l'histoire d'un porc et d'une pute qui prennent les rênes de la France. »

Assumant son processus de fictionnalisation de l'Histoire, Ridley Scott livre un biopic qui se rapproche de la vision de Napoléon décrite par Terry Gilliam dans son Bandits, bandits (Time Bandits), alors incarné par Ian Holm. Et tel le morceau de sucre qui aide la médecine à couler, il n'hésite pas à saupoudrer son film de clins d'œil. On pense notamment au Ça ira scandé par Edith Piaf dès le générique de début – pour les plus curieux, c’est par ici : https://www.youtube.com/watch?v=FXVNLqeLmOsa –, tout droit issu d'une séquence du Si Versailles m'était conté de Sacha Guitry (lui-même premier volet d'un diptyque accompagné de Si Paris m'était conté où Guitry revisite l'Histoire de France à sa manière, quitte à la tordre, elle et ses figures, pour embrasser son propos – ce que Ridley Scott ne manque pas de faire à son tour).
Si Scott fusionne les figures de Marat, Danton et Robespierre en un seul personnage au profit de ce dernier par efficacité narrative, il n'en reste pas moins que l'acteur incarnant l'Incorruptible Maximilien semble revêtir les traits du Danton de Napoléon vu par Abel Gance, ce qui paraît tout de même peu fortuit. Et enfin, et ce qui n'est pas pour déplaire à l'auteur de ces lignes, il s'autorise même à revisiter le gag le plus discuté (et néanmoins drôlissime) de House of Gucci.

La messe est peut-être dite, mais il paraît bon de rappeler que Ridley Scott tourne autour du Petit Caporal depuis son premier long métrage, Les Duellistes (1977), faisant d'ailleurs, au passage, des œillades au Barry Lyndon de Stanley Kubrick ; deux films dans lesquelles les campagnes Napoléoniennes occupent une forte place (Kubrick avait lui aussi pour projet de mettre en scène la vie de l’empereur, mais cela ne vit jamais le jour).
Napoléon prolonge aujourd’hui le cycle en revendiquant la filiation des premières œuvres et obsessions de Ridley Scott et vient ainsi boucler la boucle, tout en nous rappelant que si le réalisateur britannique est un fieffé cancre en histoire, en termes de cinéma, il n'a de leçons à recevoir de personne.


Félicien Hachebé



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