Critique du film Mon nom est Personne

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Par Super Seven

le 19/12/2023

SuperSeven :

Hernani au pistolet d’or

Sergio Leone disait aimer l’épithète « spaghetti » collé à ses westerns, à la fois car il évoquait sa patrie, mais aussi et surtout car, d’un point de vue métaphorique, le spaghetti italien contrasterait avec le lasso américain, objet iconique du genre. Le spaghetti, comme le western italien, est plus mou dans sa violence, il est moins vraisemblable, plus rythmé, parfois plus drôle, et peut-être donc plus attachant que son prédécesseur américain.

C’est ce qui fait la particularité du genre : une alternance entre un hommage et des références claires au cinéma Hollywoodien, et une forme de mollesse dans ses affrontements et son humour – qui confère un aspect plus enfantin et parfois plus grotesque que le classique de l’Ouest. Ainsi, jamais Mon nom est Personne de Tonino Valerii ne tombe dans la parodie, quand bien même il a tendance à jouer sur cette corde. La frontière entre le sérieux de l’intrigue et les gags du personnage principal – l’homme sans nom (Terrence Hill) – est toujours maitrisée, et les séquences s’enchainent entre solennité et tendresse burlesque, notamment grâce aux compositions d’Ennio Morricone qui permettent ces allers retours entre registres. Le contraste est fort surtout lorsque la horde sauvage apparait, toujours filmée de face, dans des plans larges de plusieurs secondes qui laissent le temps d’éprouver à la fois crainte et admiration. L’apparition de cette troupe, accompagnée de son thème solennel, interrompt toujours brutalement la scène qui la précède pour mieux la laisser inachevée, voire pour effacer instantanément son existence, qu’il s’agisse d’un moment comique, d’un simple dialogue ou d’une scène à suspens. Ces variations sont le fil rouge du récit, et notamment du parcours de l’homme sans nom, comme quand celui-ci livre un colis piégé à son idole Jack Beauregard (Henry Fonda), séquence légère en apparence mais qui laisse poindre une certaine tension lorsque le compte à rebours retentit ; mais aussi quand il doit abattre quatre verres, après les avoir bus et jetés en l’air. Il est ici question d’honneur, le héros mettant en jeu sa crédibilité, d’où une gravité quant au potentiel échec, mais la boisson transforme le défi en scène de beuverie, marquée par les grimaces burlesques de Terrence Hill et Neil Summers (l’homme de main méchant et idiot).

Cette double tonalité annonce en un sens celle des James Bond de la fin des années 90 (période Pierce Brosnan) dans lesquels le loufoque est assumé, mais ne tourne jamais à la moquerie de la saga et du genre. Terrence Hill est aussi un prototype de ce que sera Bruce Willis dans Piège de Cristal : un personnage comique et modeste dans un espace cinématographique qui ne devrait pas être le sien. Il en est donc plus touchant, plus humain. L’humanité de l’homme sans nom est pourtant assez paradoxale. Sa précision au tir est extraordinaire, invraisemblable, au point de le rendre irréel. Il est donc trop parfait pour que l’on s’y attache, pourtant Terrence Hill contre cela. L’acteur est parfait pour ce rôle, un adulte aux traits et cœur d’enfant, encore innocent et blagueur. Son sourire et son air juvéniles font redescendre la pression. Lorsque Henry Fonda, dans ce qui est censé être son baroud d’honneur, se retrouve seul face aux cent-cinquante sauvages de la horde, c’est l’arrivée improbable de Terrence Hill (débarquant de nulle part à bord d’un train volé) et son sourire en coin qui cassent la solennité de la scène. Le personnage fait rire, et on s’y attache car il semble simplet et malin malgré sa perfection d’apparence. Il chasse le poisson à l’aide d’un bâton, et se débarrasse de ses ennemis avec des gags – il vole le train en faisant une farce au chef de gare qui est aux toilettes et bat ses adversaires à l’aide de mannequins de boxe ou de miroirs de fêtes foraines. « Terrence Hill c’est Peter Pan » disait Tonino Valerii, et il n’avait pas tort. Il est un adulte encore enfant, qui se range toujours du côté de l’opprimé, comme lorsqu’il force le maître à porter la charpente que l’esclave portait. Cet enfant polisson, au sourire presque idiot et aux répliques comiques, fait rire et sa naïveté nous gagne.

De fait, il est une excellente représentation méta-poétique du western spaghetti, variation plus fantasque et tendre du cowboy classique. Il s’agit pour lui de trouver sa place dans cette grande histoire de l’Ouest, et cela passe par sa passion pour le plus vieux et plus sérieux chasseur de primes, Jack Beauregard, dont il organise la mise à mort pour le faire entrer dans la légende. Jack Beauregard est l’incarnation du western américain, classique : sérieux, violent, avare de paroles et évidemment mythique. Les deux font le même travail, mais leurs manières de travailler sont différentes. Le plus jeune marche sur les traces de son idole, et sans réécrire l’histoire de l’ancien, il écrit la sienne à sa façon, plus douce et plus humaine. En simulant la mort d’Henry Fonda, Terrence Hill sacralise le western américain et légitime le western spaghetti comme héritier d’une grande tradition cinématographique.


Maxime Grégoire

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