Critique du film Mon Crime

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Par Super Seven

le 07/03/2023

SuperSeven :

Trois Femmes

François Ozon est très certainement le cinéaste français le plus prolifique et régulier de notre paysage cinématographique, avec une moyenne d’un film par an et plus ou moins de succès à chaque nouvelle sortie. Si, au sein de la rédaction, l’on s’amuse à théoriser sa récente filmographie (une alternance film réussi – film un peu moins convaincant), force est d’admettre sa versatilité de registres, doublée d’une certaine singularité. Mon Crime, son opus 2023, n’échappe pas à cette règle.

Se rapprochant de Huit Femmes — le plus grand succès critique et commercial de sa carrière —, François Ozon revient en terrain connu et adapte de nouveau une pièce de théâtre, en l’occurrence la pièce éponyme de George Berr & Louis Verneuil. Il y est question du meurtre d’un grand producteur de théâtre français du moment, agresseur sexuel à ses heures perdues (difficile de voir pourquoi Ozon a décidé d’adapter ça maintenant !) duquel Madeleine Verdier (Nadia Tereszkiewicz), jeune actrice en manque de reconnaissance, s’attribue la réalisation. Cela au grand désarroi de la véritable criminelle : Odette Chaumette (Isabelle Huppert, évidemment), ersatz de la Norma Desmond de Gloria Swanson, star du muet dont la carrière s’est arrêtée en même temps que l’apparition du cinéma parlant — référence peu anodine quand est impliqué Mauvaise Graine, premier long de Billy Wilder.

Situé en 1935, Mon Crime permet à Ozon de retrouver une certaine ambition, moins présente dans ses derniers films qui relevaient du drame intimiste, voire du huis clos. En ressort de grandes reconstitutions de décors par l’illustre Jean Rabasse, assez exceptionnelles – même si parfois parasitées par du fond vert pas forcément convaincant –, des costumes très colorés et extravagants par Pascaline Chavanne, collaboratrice régulière d’Ozon qui a aussi signé le fabuleux Annette de Leos Carax récemment, ou bien la photographie très soignée de Manuel Dacosse. Une réunion des pointes du milieu donc, qui traduit la délirante grandiloquence de l’entreprise.

Car Mon Crime est surtout l’adaptation d’une pièce qui a (presque) 90 ans, complètement réactualisée à l’ère #MeToo. S’il est assez casse-gueule d’évoquer un tel sujet dans une comédie franchement grotesque, Ozon tire son épingle du jeu en ne se moquant jamais du mouvement. Il est question ici de redonner une parole à la victime, d’établir des parallèles entre la condition de la Femme dans les années 30 et celle d’aujourd’hui, mais aussi de donner le pouvoir et la clé de la réussite en usant du drame à son escient. Ironique de voir Madeleine Verdier profiter de ce crime qu’elle n’a pas commis (mais dont elle est victime par les agissements du mort) pour se construire une carrière, là où les actes d’Harvey Weinstein — et autres… — en ont détruit plusieurs lorsqu’il était question de les dénoncer, quatre-vingt ans plus tard. Le but n’est alors pas de capitaliser sur ce sujet pour rire dessus ou le tourner en ridicule, mais de l’adapter à un vaudeville terriblement drôle où les accusées et martyres se servent d’une souffrance pour en bénéficier, pour aboutir à une satire délicieusement too much.

Pour pousser le vice et sa mise en abyme un peu plus loin, Ozon fait reposer son Crime sur les épaules de deux actrices assez nouvelles bien que de plus en plus omniprésentes : Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder. Pari gagnant, tant les deux accaparent leurs personnages et livrent de très belles performances comiques et convaincantes. Bien évidemment, lorsque la fabuleuse Odette Chaumette entre en scène dans la seconde moitié du film, le plaisir n’en est que décuplé. Incroyablement interprétée par une Isabelle Huppert qui convoque la folie de son Augustine dans Huit Femmes vingt-ans plus tôt, Chaumette est le cœur comique de Mon Crime et permet à son actrice de montrer une facette qui manque terriblement dans sa récente filmographie : Isabelle Huppert est une excellente actrice de comédie. Il est aussi plaisant qu’évident de voir que cette partition a été écrite avec l’actrice en tête, tant Ozon lui rend hommage dans son final convoquant Les Bonnes de Jean Genet et donc, plus directement, La Cérémonie de Claude Chabrol, qui mettait déjà en scène Huppert dans un rôle non-comique mais très similaire.

Si ce trio de tête est le centre du film, il n’en reste pas moins que Mon Crime se révèle être un grand film de troupe. Marqué ponctuellement d’apparitions plus ou moins notables de nombreux comédiens français, tous brillent dans leurs petits segments ; on retient notamment André Dussollier, déjà apparu dans Tout s’est bien passé, et surtout Dany Boon, qui ne surprend pas réellement avec sa pastiche sudiste fan de pastis mais s'avère fichtrement bon et emporte le spectateur par les rires qu’il provoque une fois à l’écran.

Tout compte fait, Mon Crime renoue sans mal avec les promesses de Huit Femmes il y’a maintenant vingt ans et nous offre l’opportunité de réparer le notre, de crime. Difficile de ne pas voir ce dernier crû comme un rendez-vous marquant du cinéma français en 2023, en lui espérant alors un succès critique et commercial amplement mérité tant François Ozon fût parfois injustement décrié au cours de ces dernières années.


Pierre-Alexandre Barillier

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