Critique du film Miami Vice : Deux Flics à Miami

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Par Super Seven

le 30/04/2023

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Miami Vice, Deux flics à Miami de Michael Mann, sorti en 2006, est l’œuvre d’un réalisateur habité par une histoire. Celle de la série homonyme qu’il avait produite et supervisée dans les années 1980, et qu’il reprend vingt ans plus tard. Cette entreprise est comparable à celle de Lynch avec Twin Peaks, bien que lui s’attache à garder les mêmes acteurs, en repartant d’une même histoire deux ans (Twin Peaks : Fire walk with Me) ou vingt-sept ans après (Twin Peaks : The Return). Toutefois, une différence de méthode est à noter entre les deux, puisque Michael Mann réactualise le même récit, c’est-à-dire adapte la même histoire à une époque différente, neuve sans s’intéresser au passage du temps sur les personnages. Son don se situant justement dans sa capacité à saisir l’essence d’une décennie dans ce qu’elle a de particulier, d’unique et à la fixer au travers des moindres détails de sa réalisation, dans le choix des décors, des vêtements, de la musique. Alors que Lynch, avec Twin Peaks : The Return, a cherché à comprendre notre présent dans ce qu’il a de dynamique, c’est-à-dire dans le rapport qu’il entretient avec le passé et le futur, offrant une réflexion plus globale sur le temps, sur les origines et les fins d’un certain état du présent. L’un choisit de faire d’une décennie un monde à part entière, là où l’autre saisit mieux une époque en l’inscrivant dans une temporalité plus vaste.

Miami Vice présente de prime abord un synopsis traditionnel du film policier : deux policiers, Sonny – merveilleusement incarné par Colin Farrell après Don Johnson –, et Ricardo infiltrent un réseau de trafic de drogue afin de le démanteler. Il brille cependant dans ce qu’il montre, davantage des scènes de persuasion, d’influence que de véritables scènes d’actions, et un geste cinématographique entre le clip et le documentaire. Michael Mann ne tourne jamais une scène de banditisme pour montrer une activité dangereuse mais pour filmer des jeux de pouvoir, ce qui donne des enjeux particuliers et importants à chaque scène de vol ou de fusillade. Il y a de l’action, c’est-à-dire que des corps avec des armes s’affrontent, mais celle-ci est toujours motivée, justifiée, ce qui intensifie le rapport des corps. Ces actions sont mises en forme à la fois par une esthétique clipesque des années 2000, notamment avec la séquence d’ouverture dans une boite de nuit très tapageuse ou par les différents plans d’accélérations de voiture ou de bateaux dernier cri recouverts par de la musique, et une esthétique documentaire, avec une caméra mouvante, proche des corps qui leur donne une porosité, une existence réelle. Ce qui pourrait se contredire, se mêle en parfait équilibre pour travailler les hommes, leurs éléments concrètement et faire de chaque scène une chorégraphie. Le tout sur une bande son toujours merveilleusement choisie, parfois agressive, volontairement en surimpression, et parfois lancinante.

Malgré son apparence de blockbuster qui se déroule dans une Amérique opulente et reposant sur la plastique, Miami Vice réussit tout de même à développer en filigrane une esthétique du vide. Peu de paroles mais de longs regards montrent la béance qui sépare les Hommes – les personnages entre eux, mais aussi les acteurs et les spectateurs –, puisque le propre de la vision est de toujours faire apparaître les choses et les êtres dans un là-bas, à distance de soi. Ces regards renvoient finalement à la solitude qui caractérise l’homme et à laquelle il ne peut jamais échapper, pas même en tentant de se réfugier dans la fiction. Le réalisateur semble retourner à son avantage le défaut de nombreux films de ce genre : le manque de profondeur des personnages. En usant du style documentaire, Mann donne l’impression de faire face à des personnes qui n’osent pas se dévoiler devant une caméra plutôt que des personnages. Leur non-développement est un leurre, et l’absence d’accès à leur histoire devient la trace d’une blessure. Ils s’apprennent mieux dans ce qu’ils ne se disent pas. À bien y regarder, Miami Vice se révèle être un récit sur la mélancolie de l’être, et plus particulièrement d’un, le policier Sonny Crockett qui se perd entre l’attachement à son métier, pour la justice et l’affection pour Isabella, l’une des têtes du réseau de drogue qu’il a infiltré, en qui il retrouve le même regard amer sur la vie, le même sentiment d’être seul. « One of these mornings / Won’t be very long / You will look for me / And I’ll be gone. », chante Moby dans la séquence d’ouverture, donnant là le ton de ce qui va suivre. Mais l’histoire d’amour naissante ne tombe heureusement jamais dans la mièvrerie parce que leur rapport reste subtil et lucide. Elle n’est jamais traitée comme un réel dilemme, les deux sachant par avance ce qui les attend. Ce contraste entre des scènes agitées, tendues et des scènes plus douces, plus lentes ne fait ainsi qu’accentuer l’impression de vacuité du milieu dans lequel ils vivent.

Le cinéma de Mann apparait en fait toujours obsédé par une unique valeur, la liberté, qui était déjà l’essence du Solitaire (son premier long-métrage en 1981) et rend vaine toute autre. Cela se retrouve dans le rapport de Sonny à son métier de policier ou encore à la femme qu’il aime, lui qui ne laisse aucun des deux être la matrice de tous ses choix. Il ne faut pas s’attacher, il ne faut pas s’engager, il ne faut rien posséder afin de ne pas se faire posséder, il faut savoir rester impartial. Il s’agit de mener une existence authentique juste au travers de la poursuite de la liberté. Le Solitaire, traduction française heureuse de l’anglais Thief, une fois n’est pas coutume, tant cela s’applique bien, après quarante-deux ans de carrière, à ses figures errantes. Si Michael Mann a su se faire une place d’auteur avec de pourtant gros budgets et dans des genres populaires tels que le thriller ou le film policier, c’est parce que ces œuvres reposent toujours sur une conception de l’homme accablante mais dont il sait nous faire jouir, en témoigne l’harmonie qui se dégage de toutes ses scènes d’explosions, de fusillades, en bref de toutes les scènes dans lesquelles l’homme se détruit lui-même en tuant les autres et l’environnement qui l’entoure, se rendant encore un peu plus seul sur Terre.


Léa Robinet

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