Critique du film Mascarade

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Par Super Seven

le 30/11/2022

SuperSeven :


MASCARADE : CRIMES,PASSIONNÉMENT


Avec Mascarade, Nicolas Bedos a conçu un jeu de dupes – et de putes – qui trépigne sous le soleil de la côte d’Azur. Une combine hautement distrayante.


Ouf ! Ce n’était donc qu’un faux pas. L’incartade ratée de Nicolas Bedos l’année dernière dans la comédie de pastiche franchouillarde (OSS 117 : Alerte Rouge en Afrique Noire) avait fait craindre le pire pour son cinéma, lui qui avait pourtant semé de belles promesses lors de ses deux premières réalisations (Monsieur & Madame Adelman et La Belle Epoque).
Le visionnage de Mascarade – passé par le grand raout d’adoubement Cannois en mai avec à la clé une belle ovation – rassure grandement. Il s’agit d’un thriller. Le scénario ? Deux gigolos parvenus (Pierre Niney et Marine Vacth, séducteurs) se morfondent sur la coté d’Azur et décident d’arnaquer ensemble un promoteur immobilier (François Cluzet, pigeon inculte) et Martha, une actrice déclinante (Isabelle Adjani).

Regarder le cinéma de Nicolas Bedos est un peu comme ouvrir un livre de Sagan ou de certains néo-hussards comme Patrick Besson, dont il est d’ailleurs un grand amateur : l’on y trouve de la vitesse, de l’insolence, le gout des bons mots et des répliques qui font mouche, le refus de l’art engagé à la faveur d’une sorte de désinvolture qui se teinte parfois de gravité. Il est le représentant quasi unique sur notre sol d’un tel cinéma : aventureux, ambitieux formellement et plein de vitalité.
Il se paye ici une distribution rutilante : la coqueluche hexagonale Pierre Niney, l’ancienne star sur le retour (Isabelle Adjani), le beauf colérique (François Cluzet) et la révélation qui tardait à éclore (Marine Vacth).
Les trois derniers sont formidables, surtout l’actrice de Jeune et Jolie qui dévore chaque scène avec son physique de mannequin lascive et pénétrante. Elle doit hélas partager la plupart de ses scènes avec Niney, assez fade, qui peine à lui tenir tête. Qui a pensé qu’il serait crédible dans le rôle d’un parvenu social alors que l’éthos bourgeois suinte de tous ses pores ? C’est un acteur comique divin (souvenons-nous de ces scènes hilarantes avec Jonathan Cohen dans le dyptique La Flamme/Le Flambeau) mais pourquoi diable veut-il se donner de la profondeur ? Jouer des rôles torturés ? Voilà la malédiction d’un acteur que l’on a porté au pinacle trop vite, qui veut s’empresser d’arborer une mine sérieuse et imposante qui ne lui sied pas. Face à une partenaire carnivore, son manque de charisme et d’épaisseur éclatent sur l’écran. Mais ne hâtons pas trop vite la guillotine : les années joueront en sa faveur.

En quatre films, Nicolas Bedos a récolté quantité d’éloges, sans doute bien plus que dans toute sa carrière télévisuelle auparavant. Son arrivée dans le cinéma a signé la fin de l’ère du persiflage pour celle du compliment. Ce basculement n’est toutefois pas allé sans son lot d’excès : on a dit de lui que c’était un grand metteur en scène, ce qui est faux. Sa réalisation est très soignée, ses scènes magnifiquement éclairées, ses cadres élégants. Mais il ne fait pas de cinéma, plutôt une sorte d’appareillage étincelant. Ceci est dit sans mépris car tel ouvrage le place cent coudées au-dessus de bon nombre de ses collègues qui dédaignent tout faste, toute portée formelle. Mais la grande force de Bedos, c’est avant tout le scénario, et la narration. Il ne serait pas étonnant d’ailleurs qu’il préfère l’écriture au tournage. Tout le style qu’il déploie doit se comprendre à l’aune d’une grande peur : celle d’ennuyer. “Tout sauf l’ennui !“ criait déjà son personnage de Victor dans Monsieur & Madame Adelman. Cette crainte, il faut tout faire pour la conjurer ; d’où un film, bâti autour de la double arnaque des personnages de Niney et Vacth, qui multiplie les allers retours temporels, les flashbacks, entremêle les couches de narration, arrête un dialogue dans un décor pour le reprendre dans un autre, ne fait pas durer une scène plus de deux minutes. Tel glaçage exige une grande maîtrise dont le film se montre capable et ce sans trébuchements ni hoquets. Il tient sa longue durée (deux heures dix sept) en évitant tout temps mort, relançant toujours l’intérêt de sa sinueuse intrigue par l’arrivée d’un nouveau personnage, un lacet caché de scénario, un bon mot qui fuse d’une bouche acide. Il ne lui manque qu’un tiraillement moral plus consistant autour des personnages de Vacth et Cluzet pour ravir complètement.

Car derrière le thriller bien fabriqué, Mascarade est aussi une satire. La peinture d’un monde, celui de la haute bourgeoisie niçoise qui végète et s’ennuie de ses mondanités somptuaires. Isabelle Adjani et ses amis comédiens passent leur temps à se pavaner autour de la piscine de leur villa, à faire des fêtes très dépensières, à échanger des vacheries sur la dernière Palme d’Or. Tous sont des personnages qui se racontent une vie, un amour, une histoire, qui mentent à tout le monde mais surtout à eux-mêmes. Ils sont faits de vanité, de passions, d’affects, d’envies, bien plus que de raison. Sur eux, l’œil de Bedos est critique mais pas misanthrope. Il a de la tendresse pour ces créations, leur offre toujours une scène pour s'expliquer, se racheter. Car le réalisateur n’a pas la férocité militante et antibourgeoise de son père. Chez lui, le rapport de classe est secondaire : c’est un résidu au fond d’un plan (les zones en construction qui trahissent la perversion immobilière de la ville) , dans le pli d’un dialogue (Niney et sa relation avec la servante d’Adjani). Il ne distribue pas un tract mais veut avant tout raconter une bonne histoire. Bien lui prend : C’’est là que se situe sa puissance.

Ouf ! Le nouveau Bedos est donc bon. Prions pour qu’il marche, et inspire. Car son cinéma est précieux, et nous montre une voie désirable pour raviver l’intérêt des spectateurs envers un cinéma qui a depuis longtemps oublié cette donnée fondamentale : Pour plaire, il faut d’abord raconter une histoire qui vaille la peine de sortir de chez soi.


Alexandre Lehuby

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