Critique du film Marriage Story

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Par Super Seven

le 13/09/2020

SuperSeven :

Entre le dernier-né de Martin Scorsese (« The Irishman », 2019) et « Marriage Story » de Noah Baumbach, on sent la volonté de Netflix de devenir à terme une industrie tout aussi imposante que le grand écran et ça, tous les cinéphiles l’ont compris. Impossible de s’en passer aujourd’hui, alors que la plateforme de streaming nous gâte avec deux films de fin d’année 2019 qui méritent amplement nos regards curieux et nos critiques scrupuleuses. Alors, le duo Driver/Johansson, se marie-t-il bien ?

Un titre terne, une mise en scène sobre et de douces paroles, voilà en quoi consistent les premiers instants du film, et en rien de temps la sauce prend. L’écriture est fine et arrive à nous introduire à la perfection les deux personnages en un battement de cils si bien qu’à peine l’introduction terminée, on comprend les enjeux, les caractères et même l’odeur de roussi qui s’en dégage. En sept minutes on sent tout le talent de narration auquel on aura affaire durant l’intégralité de l’œuvre.

Le contraste des premières minutes donne lui aussi le ton du récit, où lorsque les souvenirs heureux s’entrechoquent avec l’inévitable fin à laquelle est vouée leur couple. À travers chaque mot, derrière chaque geste, on sent le vécu, parfois avec une telle précision qu’on ressent une certaine gène d’assister à leur histoire. C’est là que le film frappe encore plus fort, en nous rendant témoin de scènes qu’on ne souhaitait pas voir, de ces instants qu’on peut vivre nous-mêmes dans notre quotidien, que l’on fuit d’un « bon bah moi je vais vous laisser… ». En nous confrontant à cette réalité-là, Noah Baumbach nous montre l’inexorable fatalité du divorce, et ses multiples stades que sont la tristesse, la colère, la jalousie, la haine, la tendresse, la juridiction, l’acceptation et enfin, le repos. Les histoires qui mènent leur thème principal d’un point A à un point B sans dévier une seule fois sont trop rares. « Marriage Story » échappe à cette règle et n’aborde aucun autre sujet que ce qui entoure la fin d’une union. Baumbach gratte, creuse et épuise son sujet afin d’avoir l’œuvre la plus pure, la plus honnête et la plus efficace. La temporalité ne se distord pas et je remercie le réalisateur de n’opter pour aucun retour dans le passé ou fioritures du genre. Tout comme un divorce, on pense passé mais on vit présent. Et si le message passe aussi bien, c’est par la dévotion palpable que nous livrent Adam Driver et Scarlett Johansson, au sommet tous les deux, rien à ajouter.

Là où « Marriage Story » me chagrine un peu plus, c’est sur sa répartition des rôles dans les scènes. Ne voyez pas en ces mots un discours politique, mais la présence de Scarlett Johansson se fait parfois manquer sur la seconde partie. J’ai totalement saisi l’idée du réalisateur de vouloir insister sur les paroles du personnage de Nicole lorsqu’elle se confie à son avocate – on pense, entre autres, à un monologue poignant d’une dizaine de minutes - et de montrer le personnage de Charlie dans son intimité et ses maladresses, mais je vous avoue avoir été quelque peu sur ma faim durant le générique. La surreprésentation du personnage de ce dernier sur la seconde partie a quelque peu atténué ce sentiment parfait d’empathie pour les deux protagonistes. On prend malgré nous un point de vue plus accentué pour le père que l’on suit avec difficulté dans son quotidien au point d’y voir de l’apitoiement à son égard. Même si l’on n’est pas laissé en reste avec Nicole au travers d’excellents dialogues – impliquant souvent son avocate -, c’est cette absence de solitude qui manque (sentiment nuancé par la présence d’Henry) au scénario pour remplir son contrat de la double prise de partie, qui sans pêcher pour autant, m’a un peu bloqué en son final.

La mise en scène est quant à elle la plus sobre possible, et que c’est rafraîchissant ! Là ou la masse cherche l’originalité à tout prix ou le réconfort d’un schéma préconçu, « Marriage Story » ne suit aucune règle si ce n’est celle de son sujet. Le découpage est bien pensé, terriblement efficace et permet d’ajouter aux dialogues une nervosité qui aurait pu tomber à l’eau si facilement en optant pour des choix artistiquement trop engagés. Malgré tout, ne pensez point que le film est inesthétique, au contraire, il ne cherche qu’à copier la vie avec une modestie en parfaite symbiose avec le sujet, l’image satisfait toujours la rétine, offrant régulièrement des cadres très symétriques autour d'une ligne de rupture (un portail par exemple), évoquant avec justesse la séparation du couple.

La bande son signée Randy Newman accompagne quant à elle les scènes avec brio et ajoute cette pointe d’émotion qui parfait les scènes jusqu’à nous en tirer les larmes.
Je ne m’attarderai pas plus longtemps. « Marriage Story » est une leçon de vie, un exemple à suivre en terme de trame, d’une très grande honnêteté et d’un sens de la justesse servi par un réalisateur divorcé. Qui de mieux après tout pour remplir le contrat ?


Léo Augusto Jim Luterbacher

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