Critique du film Marcello Mio

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Par Super Seven

le 25/05/2024

SuperSeven :


Qu’il est étrange de s’appeler Mastroianni

“Tout ce qui nous vient de bon est héritage”
Ces mots inventés et faussement attribués à Nietzsche sont prononcés par Fabrice Luchini à l’intention de Chiara Mastroianni au début de Marcello Mio, dernier film de Christophe Honoré. Une fabulation absurde, qui donne le ton de cette fausse biographie croisée de l’actrice principale et de son père.
Le récit s’intéresse en effet au poids sur les épaules de celle qui doit hériter de la plus grande icône du cinéma italien d’une part, et de l’une des plus grandes icônes du cinéma français de l’autre. Car peut-on faire plus “nepo-baby” que la descendance de Marcello Mastroianni et Catherine Deneuve ?

Chiara – qui dans un mouvement passionné, sadomasochiste, déterministe, freudien ou un peu tout ça à la fois a choisi de devenir actrice à l’instar de ses parents – traverse une crise face à ce constat de se retrouver l'éternelle “fille de…”. Cette angoisse se manifeste par la reviviscence du fantôme de son père, qu’elle incarne en public auprès de ses proches et de ceux qui l’ont connu. Elle prend à bras le corps sa ressemblance frappante avec lui, se grimant en Marcello jusqu’à demander à ce qu’on l’appelle par son prénom.
Jeu ou véritable dissociation ? Difficile à dire au sein de l’esprit décalé du film. Marcello Mio s’ouvre sur une reproduction ridicule de la fameuse scène de la fontaine de Trevi de La Dolce Vita, avec une Chiara Mastroianni trempée jusqu’à l’os et affublée d’une perruque blonde pour caricaturer Anita Ekberg, avant une apparition numérique douteuse dans le miroir de Marcello lui-même à la place du reflet de Chiara.

S’en suit une liste plus ou moins grossières de références à la filmographie de l’acteur italien, tantôt nommées (Luchini qui s’extasie sur la troublante ressemblance entre la rencontre de Chiara avec un amant désespéré sur un pont et Les Nuits Blanches de Visconti), tantôt plus subtiles (un simple cadrage qui évoque La Cité des Femmes de Fellini).
Les costumes de Chiara-Marcello changent également au fil des scènes pour reprendre plusieurs tenues emblématiques de son père, choisies avec soin pour faire écho à la situation. Par exemple, lors d’une émission télévisée en Italie, Chiara est vêtue comme son père dans Ginger et Fred. Ceci rappelle certes l’histoire de concours de sosie et de mise en scène télévisée mais a il s’agit surtout d’une oeuvre de fin de carrière de Fellini, où un Marcello Mastroianni vieillissant joue un personnage dépassé par son temps ; parallèlement, Chiara est en train de perdre totalement le contrôle.
De la même manière, elle porte le costume blanc de Huit et Demi sur la plage en fin de film, lorsque la réalité rattrape la fiction et que les personnes dans les personnages se mettent à déborder du cadre, pour un final en fanfare.

Ces personnes qui entourent Chiara, tous incarnés par ses proches qui jouent – à peu de chose près – leur propre rôle, peuvent vite donner l’illusion d’un cinéma d'entre soi, où l’intime l’est tellement qu’il en devient excluant. Cependant, Honoré se joue de la situation en brouillant les pistes entre vraies anecdotes et récit fictionnels ; Luchini raconte avoir été marié à Catherine Deneuve par le passé, ce qui à priori n’est arrivé qu’au cinéma (dans Potiche de François Ozon). La confusion entre réalité et fiction qui habite Chiara serait ainsi un virus touchant de nombreux acteurs à un certain point de leur carrière. Mais cette démarche est aussi une façon de contourner les fantasmes que l’on projette sur elle à travers l’image de ses parents, quand elle est simplement une petite fille qui a perdu son père trop tôt.

Dépassons cette représentation de microcosme bourgeois pour aller plus loin que le bout du nez de ceux qui se regardent le nombril, et penser à celui à l’origine du projet. Christophe Honoré n’a pas d’autre rapport avec la famille Mastroianni que celui d’avoir fait tourner à plusieurs reprises Chiara dans ses précédents films.
Pourtant, Marcello Mio s’inscrit logiquement dans son œuvre par un sens de l’absurde – en convoquant évidemment Fellini – pour glisser, sous couvert de comédie, les thématiques récurrentes de sa filmographie. Les plus évidents sont le genre et la sexualité, leitmotiv de son cinéma et même de son engagement social en dehors, qui traversent ici le récit avec une légèreté qui contrebalance l’apparente lourdeur du reste. Ce qui étonne voire agace l’entourage de Chiara n’est pas le fait qu’elle se grime en homme, mais qu’elle choisisse cet homme. Une fois la démarche acceptée, aucun commentaire déplacé n’est fait, ni par ses proches ni par les nouvelles personnes rencontrées. Non pas qu’il s’agisse d’un non/faux-sujet, au contraire. Honoré (et on le voit dans Les chansons d’amour, Les Biens-Aimés, Plaire aimer et courir vite comme dans ses romans jeunesse) est un cinéaste du geste plutôt que du discours. Il privilégie la distillation subtile, çà et là, de représentations positives de minorités – certaines du moins, principalement par le prisme de la sexualité – pour participer à la normalisation de leur présence à l’écran sans avoir besoin de tomber dans le film manifeste.

Surtout, Marcello Mio est parmi les plus mélancoliques des films de Christophe Honoré – dans la lignée de Dans Paris ou 17 fois Cécile Cassard qui abordent aussi frontalement la question du deuil familial et ses répercussions ou de Chambre 212 et sa réflexion sur le regret et le rapport aux souvenirs, entre la peur qu’ils s’effacent et celle de ne vivre qu’à travers eux. C’est ici qu’intervient Catherine Deneuve, plutôt au second plan, qui peine à comprendre l’obsession de sa fille mais la suit pourtant dans cette recherche du passé. De prime abord contrainte au rôle de mère/manager, elle s’impose progressivement aux côtés de sa fille pour se révéler elle-aussi femme endeuillée, dont les souvenirs heureux subissent l’épreuve du temps. C’est en remontant dans le temps qu’elle peut se confronter à elle-même et à sa fille, ne manquant pas de lui rappeler qu’elle n’a pas le monopole du deuil de Marcello et qu’elle souffre tout autant de son absence. Quand Deneuve entonne la chanson finale (Honoré revient à la comédie musicale après Les Chansons d’amour qui l’a révélé au grand public et Les bien-aimés), son émotion est contagieuse et ce n’est plus tant l’actrice que la femme et l’ancienne compagne qui se révèle nostalgique de celui qui semble encore trop grand pour ne pas vouloir, même un peu, se replonger dans son ombre.


Pauline Jannon

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