Critique du film Malcom & Marie

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Par Super Seven

le 06/02/2021

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Malcolm & Marie : Éloge de la vacuité

Le cinéma est un art basé sur les compromis, l’adaptation. Les réalisateurs sont sans cesse confrontés à des obstacles les forçant à redoubler de créativité pour les contourner et véhiculer leur message. Il apparaît dès lors comme inévitable que la crise sanitaire amène les auteurs à se creuser les méninges pour que, malgré un strict protocole et des conditions précaires, le Septième Art demeure. Sam Levinson est le premier à se frotter à cet exercice avec « Malcolm & Marie », premier film produit et réalisé pendant le confinement américain en juin et juillet derniers. Le mot exercice n’est pas anodin tant le créateur de la série événement « Euphoria » s’essaie à l’œuvre mature, réfléchie, sans jamais parvenir à ses fins.

Ils sont pourtant mignons Malcolm (John David Washington) et Marie (Zendaya). Lui, réalisateur qui sort enjoué de l’avant-première de son dernier film, et elle, femme fatale à l’air tourmenté par cette même soirée, semblent filer le parfait amour à voir leur arrivée en fanfare dans leur villa californienne. Tout ceci masque en réalité une soirée pleine de disputes et réconciliations à venir pour le couple qui doit mettre les points sur les i. Des hauts, des bas, des révélations, des étreintes, et beaucoup de cris dans cette grande et belle maison, ce n’est pas un épisode de « Secret Story », bien que l’on pourrait en douter.

Loin de reprendre l’outrance stylistique de ses précédents coups d’éclat, Levinson privilégie pour ce drame conjugal un noir et blanc épuré dont la fadeur n’a d’égale que l’incapacité de la mise en scène à transcender son sujet. Le film a l’air paralysé, comme si Levinson ne savait quoi faire de ses deux comédiens et de son scénario. Il emprunte tantôt à Cassavetes, tantôt à Allen – rares noms n’étant pas cités lors de ce vaste étalage de culture cinématographique –, avec une caméra qui alterne grands mouvements et cadres fixes joliment composés pour filmer parfois authentiquement, parfois exagérément ces discussions endiablées sans jamais procurer la moindre émotion. Une sorte d’impasse stylistique apparaît, mettant en exergue les moments où Levinson ose se lâcher et qui tombent complètement à plat. Ainsi surgit au beau milieu de l’œuvre ce qui semble être une publicité de mauvais goût avec des plans d’une Zendaya qui rentre progressivement dans son bain entrecoupés par d’autres de John David Washington déchaîné dans le jardin avec une musique pas piquée des hannetons pour couvrir le tout. Une certaine idée de l’enfer.

Pour autant, l’œil précis de Levinson sur les relations humaines et leur toxicité potentielle revient ça et là et cela chagrine. Il commence par nous montrer très efficacement les troubles qui vont habiter ces presque deux heures avec un Malcolm qui ne regarde tellement pas sa compagne qu’il ne se rend même pas compte qu’elle est aux toilettes tandis qu’il beugle à l’autre bout de la maison. Plusieurs scènes arrivent à retrouver cet élan, en montrant la passion qui dévore ces deux êtres – sans jamais nous impliquer totalement– et les problèmes flagrants de leur relation. L’incommunicabilité du duo, due à l’ego surdimensionné du personnage masculin, est au cœur de cette nuit où les langues se délient au point de frôler le claquage. Car Levinson se pose en psychologue de l’amour et du couple mais sans la subtilité ni le recul nécessaire à une telle entreprise. Son tandem hurle une ribambelle de phrases sur-écrites, pour un scénario sous-écrit, qui ne semblent exister que pour être reprises dans des montages sur les réseaux sociaux. Les gros sabots sont de sortie et l’on croirait entendre des adolescents idiots se chamailler pour rien en champs contrechamps. Zendaya, elle, s’en sort plutôt bien dans ce rôle qui pourrait être la continuité de sa partition dans « Euphoria » et porte l’ensemble à bout de bras. Assez juste tout du long, prônant l’authenticité qu’elle retranscrit bien, elle éclipse son partenaire qui ne fait qu’aboyer dans un surjeu permanent et risible avec des yeux de merlan frit.

L’évolution de leur relation brasse toutefois beaucoup d’air et devient vite pénible à suivre tant les enjeux sont prévisibles et insignifiants : un remerciement oublié, une absence d’estime de soi, et on en passe et on recommence. Ces poncifs surannés ne sont jamais détournés ni exploités de manière intéressante et l’on a même une preuve de l’incapacité de Levinson à aller plus loin que ça quand celui-ci insère une scène complètement déconnectée du reste pour parler de l’industrie, comme de la poudre aux yeux pour donner une impression de profondeur. Là encore, l’absence de recul fait mal sur la forme. Le fond est intéressant et pertinent dans l’idée, avec une critique de l’hypocrisie de l’industrie, du regard biaisé des critiques obnubilés désormais par la dimension politique et thématique au détriment de l’observation du caractère cinématographique, mais voir John David Washington beugler comme il le fait dessert tout le propos. Tout est trop théorique ici, et on peine à accorder de l’intérêt à la démarche qui tourne en boucle en croyant qu’hurler du vide va nous le faire gober. Pire encore, Levinson s’embourbe dans ce qu’il dénonce. Son film vire à la parodie de drame conjugal par son absence de saveur et sa complaisance. La critique, décriée par Malcolm, relève surtout l’absence d’éclaboussure de cette confrontation acharnée, dont l’issue ne présente aucun intérêt à cause de la superficialité des deux amoureux. Les anecdotes sur leur passé et les reproches qu’ils se font mutuellement ne sont qu’un artifice pour masquer la faiblesse narrative et cinématographique de l’ensemble qui peine à donner à voir autre chose que deux stars en plein show. Là vient la question de l’authenticité. Dénoncée par Malcolm, défendue par Marie, cette notion est au cœur de l’œuvre qui suit parfois ses personnages de manière quasi-documentaire, personnages qui essaient visiblement de paraître crédible par leur manière de s’exprimer. On y croit une grosse partie du temps grâce au naturel probablement exacerbé par l’intimité du tournage et l’alchimie entre Zendaya et John David Washington mais dès que le ton monte et que le verbiage pointe le bout de son nez, tout vole en éclat.

Le projet, aussi louable soit-il dans l’idée, ne convainc donc pas. Sam Levinson rate presque tout ce qu’il entreprend et nous offre juste une observation du vide. Cette soirée de déchaînement des passions n’emporte pas et laisse K.O. à cause du débit atroce de paroles abêtissantes et des décibels bien trop élevés. On en sort légèrement agacé mais aussi et surtout affamé, car ce que l’on retient de « Malcolm & Marie » c’est son succulent plat de macaronis.


Elie Bartin

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