Critique du film Madre

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Par Super Seven

le 12/11/2020

SuperSeven :


SUBLIME TRAGÉDIE

Avant même d’être un film, "Madre" était un court-métrage sorti en 2017. Se présentant comme un long plan séquence haletant, le court se déroule dans l’appartement madrilène d’Elena (Marta Nieto). Alors qu’elle s’apprête à sortir en compagnie de sa mère, le téléphone sonne. Au bout du fil, son fils Ivàn, 6 ans, explique à sa mère qu’il est seul sur une plage déserte et s’inquiète de ne pas voir revenir son père avec qui il passe des vacances dans les Landes françaises. Pour Elena, cet appel soudain va rapidement devenir le début d’un mauvais cauchemar, celui dans lequel une mère assiste, impuissante, à la disparition de son enfant alors même que la voix d’un étrange inconnu commence à résonner dans le combiné.

Désormais devenu long-métrage, cette séquence d’une quinzaine de minutes devient donc l’introduction du film, scène de tension inouïe où le rythme tout entier s’accélère : d’abord calme, quoiqu’un peu désemparée, la mère s’emporte finalement dans les dernières secondes, raflant avec elle les espoirs d’une vie paisible et sans histoire.

C’est donc dix ans plus tard que l’on retrouve Elena. Sa vie a radicalement changé : elle a quitté Madrid et s’est installée en France, au Vieux-Boucau, précisément là où son fils a disparu. Durant l’été, elle travaille comme serveuse dans un restaurant au bord de plage où elle fait la connaissance de Joseba (Alex Brendemühl) avec qui elle s’apprête à emménager. Celle que les riverains surnomment “la folle de la plage” arpente régulièrement cette dernière, le regard dans les vagues à scruter l’horizon à la recherche de ce que le film suggère comme son fils. Lorsque ses yeux se posent finalement sur Jean, jeune adolescent incarné par le talentueux Jules Porier, et que la rencontre s’opère, les deux personnages développent une relation ambiguë, entre la première passion amoureuse pour l’un et la reconnaissance d’un fils pour l’autre.

CHRONIQUES D'UN AMOUR PUR

D’abord tempétueux, le métrage prend rapidement des allures de drame silencieux où la plupart des émotions passent par le regard. Souvent pesant, jamais lourd, Rodrigo Sorogoyen entraîne le spectateur dans les dérives solitaires d’une femme en perdition, et qui va retrouver en Jean ce dont elle rêve depuis dix ans : son fils.

Bien que le sujet soit complexe à traiter, le film ne tombe jamais ni dans le tordu ni dans le pathos larmoyant, et prend au contraire une direction opposée en instaurant un rapport particulier entre Elena et Jean. Ainsi, Elena, presque 40 ans, se voit vivre l’adolescence, celle qu’elle aurait aimé que son fils vive. Néanmoins, là où la mère semble (re)vivre cette période intermédiaire, elle paraît également accéder à des sensations perdues et ce, grâce à Jean.

Ce qui fait la richesse du film réside dans ses nombreuses interprétations, elles-mêmes sujettes à de multiples réflexions, questionnant aussi bien le deuil que l’amour dans sa signification la plus large possible. S’il est vrai qu’aux yeux du monde, la relation entretenue entre Elena et Jean est malsaine voire glauque, elle est en réalité funambule. Ainsi le jeune garçon, d’abord flatté de provoquer l’intérêt de cette femme, va se laisser surprendre par ses propres sentiments, d’une nature évidemment différente, mais aussi purs et légitimes que ceux que peut ressentir Elena à son égard.

SILENCE D'UN INSTANT, STEADYCAM AU MOUVEMENT

N’attendez pas de Madre un film éloquent sur la pureté de l’amour. Il est terriblement muet, oppressant, voire même étouffant lors d’une longue scène en clair-obscur. Le long-métrage s’illustre aussi dans des moments plus explosifs, toujours incroyablement maîtrisés, et qui ne laissent aucun doute quant au génie de Sorogoyen. L’état d’esprit d’Elena est donc parfaitement retranscrit, d’une part femme étouffée par le poids de son passé, de l’autre débordante d’un amour qu’elle n’a pas pu offrir.
Les différents éléments techniques participent grandement à faire de ce film une grande œuvre de cinéma. D’abord l’utilisation remarquable du plan séquence associé au steadicam (à savoir un système de harnais corporel permettant la stabilité quasi parfaite de la caméra), absolument virtuose et assurant au film une fluidité sans pareil. Chaque mouvement des personnages est accompagné par la caméra, donnant à l'œuvre de vraies allures malickiennes. Quant aux plans fixes, ils capturent parfaitement les instants plus complices entre Jean et Elena.

Enfin, l’alternance entre courte focale, à savoir des plans en grand angle permettant de capter un sujet rapproché et de l’intégrer à l’immensité du décor en arrière-plan (ici, les côtes landaises), et longue focale, crée une mise en scène étourdissante. Ainsi, les quelques scènes en grand angle où Elena marche seule sur la plage attrapent systématiquement le spectateur, lui donnant l’illusion d’un tourbillon.

Véritable confirmation après El Reino, Madre et son réalisateur Rodrigo Sorogoyen n’ont pas fini de nous émerveiller par leurs prouesses cinématographiques. En attendant le prochain film du cinéaste, on peut donc se replonger inlassablement dans cette merveille de drame, aussi tourmenté que fascinant.


Marine Evain

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