Critique du film MaXXXine

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Par Super Seven

le 28/07/2024

SuperSeven :


Mia mort d’une star sacrée

Qui aurait pu prédire une trilo(r)gie à la sortie de X en 2022 ? Pour ce troisième volet, fini le slasher (X) ou le mélodrame sirkien & sanglant (Pearl) et place à un film plus insaisissable que ceux qui l’ont précédé : MaXXXine. Insaisissable d’une part car mutant. MaXXXine est, de prime abord, un film néo-noir — on pense notamment au Brian de Palma eighties, entre Pulsions et Body Double — teinté du softcore « érotique » à la Angel de Robert Vincent O’Neil à base de prostituée hollywoodienne à la double vie. Mais c’est sans compter sur l’envie de West de parasiter un tel récit en y insufflant organiquement de la pure horreur, à la croisée des mondes du giallo de Dario Argento (intrigue sous forme de whodunit flippant) et des productions bis de Roger Corman (quelque part entre la débauche et le ridicule).

À ce titre, MaXXXine parachève l’intention, qui sous-tend la trilogie, d’explorer les procédés marqués du cinéma de terreur en pastichant différents sous-genres sans aucun cynisme. Derrière les rares jugements — dans X, sur la profession (travailleurs du sexe…) — se cache toujours un attendrissement, une compréhension de la naïveté idéaliste — Maxine prône une vie sur des rails, vouée à s’améliorer par un dur travail — face à l’exploitation industrielle, en toile de fond, qui écrase les individus (les grandes usines qui entourent le club de strip-tease de départ). Cet industrialisme a un versant plus métaphorique tant Maxine évolue dans l’envers du décor hollywoodien. Son périple est une remontée des longues rues étoilées jusqu’au panneau HOLLYWOOD en passant par le célèbre Bates Motel de Psychose, lequel, s’il lui permet d’échapper à son traqueur, l’enferme psychologiquement : à la fenêtre par laquelle regarde Norma(n) Bates dans le film d’origine, elle voit le reflet de ses démons passés (Pearl ?).

Ce regard en arrière renvoie à la trajectoire de Maxine, jalonnée de références là où les opus précédents évoluaient plutôt indépendamment l’un de l’autre. L’inscription dans la continuité de X est maladroite, à grands renforts de flashbacks de séquences pour rafraîchir la mémoire tandis que les liens à Pearl sont plutôt habiles (une référence au Technicolor, indirecte et moins thématique) voire puissants. West reprend l’idée de l’ultime visage, sourire crispé de Mia Goth dans les années 50 pour masquer son craquage, qui ici renvoie à la finalité de Maxine : devenir actrice, prétendre et mettre des masques pour vivre une meilleure vie. Ce retour au fantasme et son vernis mélodramatique — filtre moins graineux, lumière en fuite pour mieux éclairer sa comédienne — boucle la boucle initiée par Pearl : le rêve est maintenant réalité.

Cette plongée est rendue possible au gré d’une lente perversion des codes, marquée par le surgissement dans le dernier tiers du cinéma bis dans la lignée du Texas Porn Star Massacre (nom donné aux événements de X), hommage teinté d’ironie quant aux drames survenus sur ces gens populaires (au strict sens du terme classieux). Une fin déconcertante par son aspect déceptif dans le rapport au giallo – intrigue policière inutile, révélations décevantes et un too-much kitsch, roi de l’écran – mais l’ensemble reste jouissif grâce aux influences cormaniennes qui prennent le dessus. Ti West créé une sous-intrigue autour d’une réalisatrice de série B (Elizabeth Debicki), qui rappelle celles que le célèbre producteur a embauché pour réaliser ses productions (la saga Slumber Party Massacre en tête). Son intransigeance sur différentes demandes (la nudité, particulièrement) et la compromission quant au véritable rôle de la réalisatrice qui l’accompagne font écho au parcours de Debicki qui tente de se frayer un chemin en enchaînant les productions à petit budget sans se trahir.

Outre cette énième variation sur le cinéma marginal, West fait preuve d’une certaine audace, embrassant l’époque dépeinte par des excès de style qui mêlent grand guignol — le monologue de l’antagoniste en tant que grand sauveur des mœurs face à l’industrie hollywoodienne — et résolution anticlimatique (tout s’effectue trop rapidement et facilement). Or c’est précisément l’intérêt de sa démarche. Il en va de l’élimination du symbole familial et le débarras de cette épée de Damoclès, à travers un jeu d’échos diégétiques (le monologue précité s’inscrit dans une mise en abîme du méchant qui traduit en réalité son conformisme). Toutefois, le cœur de MaXXXine est une divergence d’ambitions dans un cercle très fermé, qui vire au règlement de compte pour mettre derrière toute cette toxicité d’appartenance — du corps dans l’industrie pornographique, mais aussi d’une soumission au père, déjà citée dans X.

Celui-ci était le film de Maxine et de Pearl (d’où l’intérêt que Goth joue ces deux faces de la même pièce) avec comme enjeu de faire disparaître la menace pour offrir un futur à la première. Le passé est ici ce qui coince, avec ce mystérieux tueur, animé par la volonté de briser la carrière de l’actrice, qui semble au fait de son vécu. D’abord moins combative (sauf rares exceptions, dont une terrible castration), Maxine se détache progressivement du spectre de Pearl, cette dernière se contentant à l’époque de faire « au mieux avec ce qu’elle a », pour se réapproprier son destin. On revient alors aux plans finals des deux films : un visage brisé dans l’un, caché par un rictus figé, et une figure en plastique qui signifie la victoire dans l’autre. La citation d’ouverture par Bette Davis le dit : « Tant que vous n’êtes pas un monstre, vous n’êtes pas une star ». Maxine, comme Hollywood, a embrassé sa monstruosité et rejoint les étoiles.


Pierre-Alexandre Barillier

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