Par Super Seven
SuperSeven :
L’horreur est dans une étrange ambivalence. 2022 fut une année prolifique pour le genre, notamment composée de propositions variées, acclamées et à succès différents. À noter, par exemple, l’extraordinaire réussite commerciale de SMILE, initialement prévu pour une sortie sur plateforme avant que ne soit pris le « risque » de la diffusion en salles grâce à des réactions-test très positives. Dans un marché encore très chamboulé par l’après-pandémie, ce type de succès permet de montrer aux grandes têtes pensantes de l’industrie que le grand public est intéressé par des propositions originales — Barbarian et The Black Phone ayant rencontrés aussi des succès similaires, dans leur propre tranche de budget —, à une heure où beaucoup des films d’horreur proposés font partie d’un univers étendu ou une franchise.
A ce titre, Scream a opéré un retour en force (et revient de nouveau en 2023), Halloween s'est "conclu" avec Ends, et la petite victoire de la scène indépendante de Terrifier 2 — qui réussit à envahir les salles grâce à l'alliance d'ESC Distribution & SHADOWZ, alors que le premier n’est même pas sorti au cinéma — ne font que confirmer l'attrait du public et des studios pour des visages familiers, marqueurs d'une époque ou d'un succès déjà bien établi.
Et pourtant, avec tout cela, fanatiques et aficionados du genre ne peuvent que remarquer le dénigrement perpétuel de l'horreur, venant de son public ou de la critique, très régulièrement assassine envers les propositions qui parviennent dans nos cinémas. Sans vouloir implicitement dire que ces productions ne servent pas le même type d'ambition ou ne cherchent pas à faire du grand art comme certains films et têtes pensantes aiment le dire, une grande partie de la fournée annuelle du genre horrifique cherche une audience double : d'un côté, le grand public, à qui ces sorties ponctuelles offrent leur rendez-vous cinématographique du mois ou du trimestre, et de l'autre, les accomplis qui s'amusent à aller voir ce qui se fait de nouveau dans ce qu'ils apprécient particulièrement. On ne peut cependant s'empêcher de ressentir un certain mépris vis-à-vis de ce "type" de films. Un mépris nourri par ce même grand public qui clame très régulièrement que "c'est nul mais on y allait pour cela", tandis que les fans regrettent une fois encore que ces sorties soient faites dans le seul but de capitaliser sur LE genre le plus divertissant et le plus pur en termes de cinéma – par l'approche qui en a été faite dès les débuts de cet art. Une question se pose alors : pourquoi ne peut-on pas faire les deux ?
L'arrivée du terme elevated horror n'a d’ailleurs clairement pas aidé à cela. Sous prétexte du film à concept et/ou doté d'un véritable propos, on en vient à dénigrer une très grande partie du paysage horrifique. C’est oublier que l'horreur a justement toujours eu ses concepts et ses propos. Pour exemple, nous n'avons pas attendu Le Menu pour parler de l'absurdité des classes supérieures, Wedding Nightmare le faisait déjà très bien — et on ne remonte pas très loin en disant cela — sans se targuer d'être une autre proposition de cinéma pour les vrais cinéphiles. Il n’a pas fallu attendre Titane pour remettre en question l’identité de genre, la saga Chucky interprétant cela depuis maintenant presque trente ans. Et tout ceci est bien entendu dit sans mépris envers chaque film cité, la plupart de ceux-ci ayant été appréciés par notre rédaction. C’est particulièrement cette ambivalence mentionnée au tout début qui chamboule les regards qui peuvent être émis sur la production et le paysage actuel du cinéma d’horreur et ses alentours. N’est-ce pas hypocrite, par exemple, de voir les fidèles d’A24 s’extasier que la société donne son plus gros budget à Ari Aster pour BEAU IS AFRAID, le faisant ainsi entrer dans la cour des gros studios – Blumhouse, Warner Bros. (pour Conjuring), Universal – dont les projets sont systématiquement dénigrés par ces mêmes fidèles ? L’hypocrisie ne venant bien évidemment pas des compagnies — et dans ce cas, pas d’A24 ou d’Ari Aster — mais bien des différents publics.
Prenez David Gordon Green qui, avec sa trilogie Halloween, essaie de concilier réflexion et commercialisation, au cœur d’une grande licence qui s’est perdue depuis bien longtemps. Le reproche majeur adressé à l’encontre du dernier volet, Halloween Ends, est l’absence du visage emblématique de la saga, Michael Myers. Si nous pouvions effectivement regretter un manque de « jusqu’au-boutisme » dans la relecture de DGG à travers les deux premiers opus, il serait de mauvaise foi de ne pas encourager ce que l’équipe et la production du film a essayé de faire avec un matériel essoufflé et, peut-être, plus d’époque. Il y a là un cercle vicieux installé chez certains, consistant à reprocher quelque chose, puis à recritiquer avec la même véhémence lorsque la tentative ose être différente voire à l’opposé de ce qui avait déçu initialement.
800 mots plus tard et, finalement, le lecteur commence à se demander : qu’est-ce que cela a à voir avec une poupée-robot tueuse qui chante Titanium de Sia pour bercer sa propriétaire ? On y vient. Il n’était pas possible de parler de M3GAN sans contextualiser sa production et le marché auquel il est dédié. Il est par ailleurs tout autant impossible d’aborder ce film sans mentionner son grand frère lointain : MALIGNANT. Réalisé par James Wan, qui avait écrit l’histoire — mais pas le scénario ! — avec Akela Cooper — qui, elle, a écrit le scénario ! —, cette proposition audacieuse, du moins détonante, a injustement été détruite par son public et la critique. Si sa folie a séduit et diverti, Malignant a vite été considéré comme un nanar, prenant trop au sérieux un concept et une histoire qui, évidemment, était ridicule et extrêmement consciente de cela, de même pour la mise en scène exagérée et kitsch de James Wan.
Vient alors le sujet de ce papier : M3GAN.
Toujours écrit par Akela Cooper et produit par James Wan qui laisse Gerard Johnstone à la réalisation, M3GAN arrive comme un véritable compagnon à Malignant. Sa bande-annonce, mi-sérieuse mi-kitsch, intriguait déjà, sans oublier un marketing poussé à coup de danseuses, de compte Twitter viral et autres tactiques qui, forcément, attirent la curiosité, ont conquis un certain type de cinéphiles et annoncent un grand bordel. Et M3GAN livre bien ses promesses là-dessus.
S’il est regrettable de ne pas avoir une fluidité de mise en scène à la James Wan, c’est bien par le script de Cooper que le film brille. Sachant le ridicule complet qu’un tel concept peut engendrer, elle fonce tête baissée dans le camp — terme pour définir le “too-much” ironique et souvent de mauvais goût, qu’utilise particulièrement John Waters — pour accentuer la pure comédie qui se cache derrière l’horreur. Johnstone, lui, est extrêmement conscient du matériel qu’il a entre les mains et, pour continuer dans cette démarche de “trop”, joue toute cette partition avec énormément de sérieux, afin justement de créer ce décalage, qui passe beaucoup par une interprétation consciencieuse des acteurs et des différentes situations burlesques traversées – à l’instar de James Wan pour Malignant.
Or, de cette recherche assidue d’un décalage de ton, découle la véritable iconisation du personnage éponyme. Sortie d’un mélange entre Chucky (saga originale et remake) et un épisode de Black Mirror, M3GAN est extrêmement plaisante à suivre tant chaque choix de sa caractérisation est étrange : une voix autotunée au possible à certains moments et parfois pas du tout, des mouvements imprévisibles — et de sacrés pas de danse, il faut l’admettre — tant par ses capacités que leur non-vraisemblance, mais surtout un fort charisme (grâce aux dialogues d’Akela Cooper) qui font de cette poupée-robot un personnage-bouffon et un être pouvant être craint et effrayant par instants, à la manière d’un Freddy Krueger dans sa propre saga — avant bien évidemment la descente aux enfers que furent ses derniers volets.
C’est en cela que M3GAN, l’entité film-personnage, assure sa postérité dans le paysage horrifique actuel. Le très gros démarrage commercial et critique le montre : ce type d’œuvres désinhibées, folles et très appréciables plaît aux publics, même ceux qui pourraient se montrer plus pointilleux sur les actuelles productions de Blumhouse. Osons alors une déclaration susceptible de déplaire voire de paraître erronée, mais il est difficile de ne pas voir en M3GAN un futur (actuel ?) classique du genre, qui se dévoilera comme un véritable marqueur d’une époque où les propositions divisent mais tentent, mettant sur le carreau beaucoup d’inconditionnels tout en apportant un nouveau visage et un nouveau souffle à une industrie qui l’a bien méritée.
Pierre-Alexandre Barillier