Critique du film Los Delicuentes

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Par Super Seven

le 02/04/2024

SuperSeven :

Braquage interdit

D’abord le plan d’un employé de banque : voler 25 ans de salaire, se rendre, purger sa peine, puis enfin être libre – du travail, de l’état. Une comédie d’anti-braquage en un sens, puisque le délinquant, Moran, est déjà dans la machine : rien ne s’oppose à son geste, il se sert sans péripétie. Déjà, Rodrigo Moreno refuse le scénario qui monnayerait ses obstacles.
Au dehors de ce décor de banque toute de bois sans fenêtre, Buenos Aires est employée à la coutume néoréaliste, la foule du réel absorbe le cadre et l’on vient chercher au point l’électron fictionnel faufilé dans le réel (le personnage). Alors si l’on donne dans l’esprit satirique, une intrigue pétrie de planification – et autres gestes de schématisations – c’est aussi pour montrer les structures (scénario, ordre du travail, géométrie monétaire) pénétrées par la variable organique. Et si chaque plan se trouve précis dans l’intention, Moreno semble toujours contourner la sophistication, la plastique, pour à tout prix attraper la part triviale de son objet.

Si Los Delincuentes entreprend une échappée, c’est surtout en se déplaçant, à mi-chemin, d’un film à l’autre. Lorsque le complice, Roman, part cacher l’argent loin à la campagne, il fait la rencontre d’un trio d’artistes, qui s’illustre lors d’une longue après-midi rhomérienne, prolongée d’un triangle amoureux sur le long cours ; marivaudage poétique articulé autour d’un système de prolepses / analepses, le film achevant alors d’épouser ses manières de conteur en additionnant les détours narratifs comme chaque geste sur l’image (surimpressions, split-screens) semble s’additionner à une boîte à outils destinée à faire fiction, pourvu qu’elle annihile l’aliénation économique et humaine dont est parcouru le réel.

Ainsi, Los Delincuentes est essaimé de jeux sur la forme et sur le langage (nos cinq personnages principaux sont nommés par les mêmes lettres en anagramme) se faisant alors toujours ludique et surprenant. Sa trajectoire changeante et épisodique, revisite malicieuse d’archétype fictionnels hétérogènes, l’ancre évidemment dans le flux contemporain du cinéma argentin. Moreno entend lui-même que son film serve de miroir à Trenque Lauquen – il est d’ailleurs reparti en montage justement pour éviter la similitude avec l’opus de Laura Citarella. Or, différence notable, Los Delincuentes s’encombre d’objectiver mécaniquement le parallèle entre liberté économique et liberté de la forme cinématographique, notamment via le personnage de Ramon, vidéaste désabusé qui professe caustiquement l’utopie à laquelle semble rêver Moreno. Le même souffle théorique (auquel on adhère sans sourciller) fait droit chez Citarella, mais avec une fluidité organique qui a la force de l’évidence, sans se soucier d’affuter les règles du jeu, là où Moreno segmente toujours beaucoup ses effets : la liberté, la vraie, c’est quand les formes se contaminent.


Victor Lepesant

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