Critique du film Les Filles vont bien

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Par Super Seven

le 03/12/2023

SuperSeven :


Les filles vont bien (?)

Dans la continuité de son travail avec le réalisateur – devenu son compagnon à la vie – Jonás Trueba, la comédienne Itsaso Arana (La Reconquista, Eva en août, Venez voir) passe enfin derrière la caméra avec son premier long-métrage, Les Filles vont bien.
Un projet qui s’inscrit dans le sillage des productions de Los Ilusos Films (société de Jonás Trueba, ici producteur délégué), à savoir un récit épuré de toutes fioritures, centré sur ses personnage et tenant sur un dispositif spatial très simple, relevant d’une inspiration puisée — et assumée — d’un certain côté de la Nouvelle Vague. On trouve en effet chez Trueba comme chez Arana une ambiance très rohmérienne dans ces moments d’escapades bucoliques et ces longs dialogues verbeux et introspectifs.
Cette volonté d’économie de moyens, de travailler avec un cadre très dépouillé, guide non seulement la production mais aussi l’écriture, pensée à rebours afin d’anticiper au mieux les contraintes d’un tel fonctionnement.

Tout cela ne freine en rien la créativité d’Arana, bien au contraire. S’il est évident que son expérience chez Trueba a profondément nourri sa vision, elle développe néanmoins son talent propre, en particulier dans l’écriture chirurgicale de chacun de ses personnages (rappelons qu’elle était déjà co-scénariste d’Eva en Août et de Venez voir). Les Filles vont bien relève pourtant presque du documentaire à certains égards. Déjà, les personnages portent toutes le prénom de leur interprète respective, qui sont chacune des amies proches d’Arana ; elle a d’ailleurs avoué que le film n’aurait jamais vu le jour si la moindre d’entre elles avait refusé le projet, tant les rôles ont été pensés sur mesure. La camaraderie qui en ressort est d’une authenticité troublante, d’autant qu’elle procède de longs plans fixes centrés sur tout le groupe. C’est en étudiant ses dynamiques que l’on apprend finalement le plus sur chaque individu.
Cette spontanéité recherchée s’accompagne toutefois d’une rigueur implacable dans la méthode. Les filles vont bien est le résultat d’entretiens approfondis pour pénétrer l’intimité des actrices et retirer de leur histoire personnelle les éléments qui pourraient construire le film, tout en conservant la confiance instaurée.

Le procédé de mise en abyme prend ainsi tout son sens, notamment pour le personnage d’Itsaso. La cinéaste incarne une metteuse en scène de théâtre, qui part à la campagne avec ses comédiennes pour répéter sa nouvelle pièce. Un rôle déterminant pour le bon déroulé du récit, qu'elle efface volontairement pour laisser le champ libre à celles qu’elle a choisi de mettre en lumière. Ses interventions ponctuent les longs dialogues introspectifs de ses actrices, à la manière d’une narratrice qui aurait les clés manquantes à leurs questionnements. Légèrement externe au groupe par sa position, elle garde un oeil très attentif et tendre sur chacune des comédiennes, rendant d’autant plus touchants les instants où elle se dévoile comme une amie plus qu’une cheffe (ses cris de joies lorsqu’Irene reçoit un message de l’homme qu’elle aime, ou évidemment la sublime lettre qu’elle écrit de Barbara à son futur enfant).
Aucune n’est plus mis en avant qu’une autre, et les écarts d’âge et de problématiques rencontrées font presque penser à une représentation de la vie des femmes au sens large, au gré de ses différentes étapes. Helena est la jeunesse insouciante, Itziar la jeune adulte nostalgique du passé, Irene celle un peu plus vieille qui se questionne sur son avenir, et Barbara la future maman dont le rôle est désormais de transmettre (on pourrait même ajouter leur hôte Mercedes, vieille dame emplie de sagesse accompagnée de sa petite fille admirative de ses aînées et encore naïve de toutes difficultés).
Il est amusant de constater la sortie des Filles vont bien la même semaine que Conann de Bertrand Mandico, puisque les deux oeuvres – dans des registres aux antipodes l’une de l’autre – représentent de manière assez exhaustive des points d’ancrages de l’existence d’une femme, d'un côté sous la forme d’une jolie peinture douce et intimiste, de l’autre à travers une fresque épique et barbare.

Quoiqu'il en soit, c'est sans doute cette parfaite conscience de sa place dans un groupe, que la réalisatrice connaît sur le bout des doigts, qui offre au tout un tel naturel et une telle liberté. Malgré la pointe d’ironie du titre, nul besoin de prince charmant dans ce conte de fées moderne, du moment que chacune peut compter sur les autres pour rester optimiste et confiante sur la prochaine page à venir.


Pauline Jannon

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