Critique du film Les feuilles mortes

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Par Super Seven

le 20/09/2023

SuperSeven :


Le sens du détail

Cinéaste encore relativement méconnu du grand public, le finlandais Aki Kaurismäki est cependant bien identifié des niches cinéphiles qui suivent avec attention sa carrière légèrement éparse depuis les années 2000. Son cinéma est à son image : discret mais qui touche juste quand il le faut, idée maîtresse de sa dernière réalisation, Les Feuilles Mortes, déjà remarquée des festivaliers à Cannes (Prix du Jury) ou encore La Rochelle.

Cette romance entre deux marginaux surprend par son ton à la fois très simple — voire neutre — et décalé, toujours à la limite de l’absurde sans tomber dans le comique pur. Kaurismäki plonge le spectateur — et ses personnages — dans une certaine passivité ; attention, elle n’est pas de celles le désinvestissant de l’action, au contraire. Par son économie de dialogues et le déroulement très direct des relations et évènements, Les feuilles mortes permet d’apprécier l’autour, le décor, l’environnement, au sein desquels se déploie un véritable sens de la minutie et du détail. Son énergie silencieuse lui permet de se laisser aller à la mélancolie, la même qui habitait les travailleurs d'Ombres au Paradis, Ariel et La Fille aux allumettes. Des personnages pathétiques sans pathos, traduisant l’art d’équilibriste du cinéaste.

Ce sont deux âmes solitaires, apparemment vides d’émotions, qui se noient dans le travail et/ou l’alcool pour éviter de se confronter à leur réalité déplaisante. Il est son compagnon de silences et vice-versa, et leur compréhension profonde de l’autre transcende la nécessité de parler. Il est alors parfois déstabilisant de simplement observer — plutôt contempler — leur ennui, mais saisir le sens d’une relation si désintéressée, c’est accéder à son sublime. En cela, regarder Les Feuilles Mortes s’apparente en un sens à un lire un roman de Milan Kundera, ce dernier déployant des personnages relativement apathique que l’on suit sans plaisir évident mais avec une fascination pour ce que leur inertie renvoie de notre propre quotidien, loin d’être plus exceptionnel que le leur.

L’admiration de la banalité prend forme au gré de cadrages aux compositions minimalistes et quasi symétriques, pas si loins de ceux de Wes Anderson. « Quasi » étant le mot clé ici, puisqu’il casse en permanence la symétrie parfaite grâce à un objet « en trop » sur un bord de l’écran (par exemple, une lampe alors que les deux personnages sont rigidement assis sur les deux côtés opposés d’un canapé centré), ou bien par de subtils décadrages qui font pencher légèrement vers l’un des deux sujets. L’histoire de chacun des deux est d’ailleurs le miroir de l’autre ; lors de leur première rencontre, ils ont tous deux subi des injustices au travail, et sont respectivement accompagnés d’un ami du même sexe, personnage fonction pour les amener l’un à l’autre. Leurs caractères varient toutefois, révélant les limites de leurs personnalités et de la symbiose qui les lie, plutôt que de les laisser se confondre en une seule et même personne.

C’est dans cette simplicité du geste que le finlandais capture toute la complexité d’un quotidien marqué par la lassitude et la monotonie, mais aussi l’infinie poésie de l’espoir d'un lendemain meilleur, sans pour autant chercher activement à provoquer le destin.


Pauline Jannon

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