Critique du film Le Vourdalak

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Par Super Seven

le 24/10/2023

SuperSeven :


« Passez votre chemin, nous n’ouvrons à personne… ». Sur ces mots glaçants, s’ouvre Le Vourdalak, premier long-métrage d’Adrien Beau. Habitué de l’horreur et du fantastique – son premier court-métrage, La Petite Sirène, empruntait déjà à ces registres –, il arpente cette fois les sentiers du conte gothique en adaptant La Famille du Vourdalak, nouvelle d’Alexeï Tolstoï.

Jacques Antoine Saturnin d’Urfé (Kacey Mottet-Klein), envoyé diplomatique du Roi de France, se perd en forêt. Il trouve refuge au sein d’une famille issue d’un rang social plus modeste. Les membres de cette famille attendent le retour inespéré du père, Gorcha, qui avait déclaré aux siens avant de les quitter : « Attendez-moi six jours. Si au terme de ces six jours, je ne suis pas revenu, dites une prière à ma mémoire. Mais si jamais, je revenais après six jours révolus, je vous ordonne de ne point me laisser entrer, quoi que je puisse dire ou faire, car je ne serais plus qu’un maudit Vourdalak ». Lorsque le père devenu Vourdalak, au visage désormais quasi figé et squelettique, revient dans sa demeure, la terreur s’installe pour chaque membre de la famille, ainsi que pour D’Urfé…
En plus de Kacey Mottet-Klein, qui incarne cet aristocrate aussi ampoulé que la famille de paysans ne semble extravagante, le reste du casting n’en est pas moins éclectique : Ariane Labed, la fille du patriarche, dont les costumes évoquent la Médée de Pasolini ; Vassili Schneider, le plus jeune fils, rebelle, incarnation vivante d’une peinture de la Renaissance ; Grégoire Colin, dans la peau du fils aîné aussi bourru que naïf, prêt à tout pour suivre les traces de son père et lui rester fidèle. D’Urfé s’immisce ainsi dans une réalité tout autre que celle qu’il a connu, une réalité d’un autre rang social. C’est ce qui fait la particularité du Vourdalak : la figure du Vampire, habituellement associée au manoir luxueux des familles bourgeoises, est ici attribuée au père de cette famille modeste, résidant dans les bois. Celui-ci porte un regard emprunt d’amusement et de dédain sur cet envoyé du Roi inadapté aux conditions de vie de cette famille – laquelle subit en réalité cette même observation par le patriarche qui ne considère aucun de ses membres. Piotr (Vassili Schneider) se maquille et porte des vêtements dits féminins, pendant que Sdenka (Ariane Labed), est hostile et distante face à D’Urfé et son air guindé et influençable, dans une inversion surprenante de la pyramide sociale.
Satire, horreur, et fantastique teintés de gore se mêlent dans un récit qui s’affranchit de sa nouvelle d’origine, en y incluant des éléments plus modernes. Adrien Beau ne transpose pas le conte à notre époque, mais il prend la liberté de déconstruire certaines idées reçues du film de genre, à travers des protagonistes qui échappent aux stéréotypes auxquels on les assimile d’ordinaire. Par rapport à l’œuvre de Tolstoï, Sdenka est plus affirmée, solitaire, et non plus la demoiselle en détresse. De plus, et notamment face à elle, D’Urfé se fait l’antithèse du héros classique par son tempérament peureux et inhibé.


On repense à l’habileté de La Petite Sirène, dans lequel le cinéaste puisait déjà, sans excès mais avec malice, dans les codes du genre tout en remontant au cinéma muet. Le Vourdalak ne tombe pas non plus dans la citation gratuite ou les influences à outrance. Malgré des liens évidents avec le Dracula de Francis Ford Coppola (exemple criant sur la présence de la figure du Vampire au cinéma), ou avec le cinéma de Serguei Paradjanov à l’imagerie donnant l’impression de contempler des peintures vivantes, le film d’Adrien Beau trouve son identité dans son côté artisanal, conçu de toutes pièces au fil de nombreuses années afin de ne jamais perdre l’envie d’authenticité. Le Vourdalak lui-même, figure moins mise en scène et représentée que le Vampire classique, fait ici office de marionnette inquiétante avec son masque de cadavre, amusant au premier abord mais qui crée rapidement un malaise. Le caractère figé du nouveau visage du patriarche, dont on craignait le retour, accentue encore plus son ascendant dans la sphère familiale et la menace qu’il représente. Une fixité qui trouve un écho chez D’Urfé, dont les costumes – conçus par Anne Blanchard –, le gèlent dans un temps ancien, prisonnier de son rang ; il apparaît comme le seul personnage à garder l’aspect poussiéreux de la nouvelle d’origine, là où les membres de la famille arborent des tenues à l’aspect médiéval, plus proche du folklore.
En fait, le Vourdalak inquiète et oppresse car il incarne tout ce qui se prête un peu vulgairement à ce qui est considéré comme la norme. Yegor (Grégoire Colin) tente de s’imposer aveuglément comme un double de son père en exploitant son allure virile à outrance, mais il ne s’oppose pourtant jamais face à ce dernier, par peur de détonner dans la foule. A contrario, Piotr, le seul d’ailleurs à oser affronter son paternel quand le vernis commence à craquer, incarne un être plus doux et efféminé, se moquant de l’autorité. Surtout, le géniteur devenu mort-vivant ne s’en prend pas à de jeunes filles innocentes mais à sa propre famille, avec qui il partageait des liens forts, et qui ne représente désormais pour lui que de la chair à assujettir. Son conservatisme assumé et malaisant en fait un beau contre-exemple d’une créature à la sexualité ordinairement débridée, et parachève cette innovante réinvention made in France d’un genre qui faisait jusque-là plutôt défaut à notre cinéma.


Talia Gryson

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