Critique du film Le Samouraï

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Par Super Seven

le 03/07/2023

SuperSeven :

S’il ne semble être, aux premiers abords, qu’une banale histoire de gangster dans le Paris des années 60, Le Samouraï est une pure plongée dans une atmosphère silencieuse, pleine de secrets et d’intrigues captivantes.

On doit cela en grande partie aux acteurs : on y retrouve Nathalie Delon (Jane) en femme fatale, envoutante dans son premier rôle au cinéma, mais aussi François Périer dans le rôle de l’inspecteur de police prêt à tout pour coincer le criminel en cavale ; il collaborera d’ailleurs une seconde fois avec Jean-Pierre Melville dans Le Cercle Rouge. Puis, bien sûr, dans le rôle principal, l’immense Alain Delon (Jef Costello), à l’apogée de sa carrière, qui imprègne à lui seul le film de cette atmosphère particulière. Taiseux, mystérieux et déterminé, il crée une figure qui ne le quittera plus, en témoigne, parmi tant d’autres, son rôle six ans plus tard dans Big Guns de Duccio Tessari. Melville déploie un jeu d’ombres autour de lui : tantôt la caméra le suit comme s’il était la sienne, tantôt elle donne l’impression qu’il en est une. Une ambivalence présente dès l’introduction (toujours marquante chez Melville), dans laquelle Delon, mutique au possible, prépare méticuleusement un crime.

Le Samouraï se définit comme un jeu de figures. Ni Jef Costello ni les autres personnages n’ont de passé ou d’aspirations définis, leur intériorité n’est mise en perspective que par leurs actions. Ce ne sont que des archétypes : la femme fatale qui abuse d’un homme riche, le flic et ses sous-fifres, les mafieux qui jouent au poker… mais tous restent secondaires, ce qui importe ici c'est le rôle qu'il vont jouer autour de Jef sur ce funeste chemin.

« Il n’y a pas plus profonde solitude que celle du samouraï ». Cette citation, inventée par Melville, ouvre le film et donne la clé du programme à venir. Bien que très entouré, de sa femme et de ses complices, Jef est profondément solitaire. Sa seule compagnie, et sécurité, est un oiseau, qui lui permet de savoir si quelqu’un s’est introduit chez lui. Il contrôle même ce qui est censé le surprendre, renforçant ce sentiment de maîtrise totale de son environnement. Sa solitude s’explique donc ainsi : n'ayant la maitrise des autres, il préfère rester seul.

La quintessence du film se retrouve dans la scène centrale du métro. Jef est en cavale, poursuivi par toutes les polices de Paris. Aucune issue possible, il se retrouve dos au mur ou, dans ce cas-là, plutôt dos au quai puisqu’en effet, la rame de métro semble être la manière la plus sûre de fuir. Cette course poursuite haletante – bien qu’elle se fasse en marchant –, les métros fantômes dont les protagonistes montent et descendent, génère une étrange tension. Un sentiment de « rapide lenteur » s’installe, rapide dans les décisions qu’il faut prendre pour semer les filateurs ou poursuivre le malfrat, et lenteur due à la vitesse de déplacement qui ne doit pas attirer l’attention.

La séquence finale vient boucler la boucle. Tout y est semblable à l’ouverture, Jef est pris dans une spirale infernale. La ressemblance entre les deux scènes n’est en réalité qu’en surface : le maquilleur de voiture est différent et promet de ne plus lui rendre service ; Jef ne prévoit pas d’alibi pour commettre son prochain crime. Quelque chose cloche véritablement et la spirale ne mène plus que vers le suicide. Ce thème du cercle qui n'a comme issu conclusive que la mort revient souvent chez Melville (Le Cercle Rouge, L’armée des Ombres entre autres). Le samouraï meurt peut-être, mais en respectant son code d’honneur. Comment ne pas voir dans ce geste final de Costello le hara-kiri le plus romantique qui soit ?

Par-là, Le Samouraï prend une ampleur qui dépasse largement le cadre des années soixante pour devenir une référence majeure de réalisateurs contemporains ; on pense ici à Quentin Tarantino, qui y fait écho par les ambiances et les personnages de criminels taiseux que l'on peut retrouver dans Pulp Fiction ou même dans Reservoir Dog ; mais aussi à Jim Jarmusch qui en a fait un remake avec Ghost Dog qui voit Forest Whitaker reprendre la routine du samouraï en lisant le Bushido entre deux meurtres. Enfin, ailleurs, dans le cinéma d'action hongkongais, John Woo a aussi avoué s'être inspiré de Melville, en allant même jusqu’à appeler le héros de son emblématique The Killer, Jeff. Difficile alors de ne pas considérer Le Samouraï – dont Alain Delon a, selon la légende, accepté le rôle en 7 minutes et demie de lecture du scénario –, comme gravé à jamais au panthéon du cinéma français.


Mathis Slonski

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