Critique du film Le Péril Jeune

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Par Super Seven

le 04/08/2023

SuperSeven :


The good old daze

La recette du Péril Jeune de Cédric Klapisch est aussi convenue qu’efficace : une bande d’amis se réunit pour un évènement, et se remémore les années lycées. Les flashbacks qui suivent relèvent du croisement entre une série AB Productions et Les Sous Doués Passent le Bac, dans une ambiance délicieusement rétro où les cinq amis, bien moins loubards qu’ils ne le pensent, sèchent les cours pour aller jouer au flipper au bar du coin. Toutefois, sans crier gare, ressurgit la mort passée de l’un des garçons du groupe. Là encore, un pivot dramatique classique du registre du « coming of age » doux amer, mais qui apporte, en filigrane, une dimension plus tragique à leurs péripéties d’écervelés et leur insouciance d’il y a quelques années ans.

La menace funeste pèse, et la légèreté s’efface peu à peu au profit d’une inquiétude plus sourde. D’autant qu’une autre échéance redoutée approche : le Bac, et avec lui c’est le devenir — c’est-à-dire la vie d’adulte, les responsabilités, et le sérieux — de ces jeunes qui est mis en question. Facile d’être égaré à un âge ou l’on peine déjà à trouver sa place, et quand on pense trouver des réponses dans la sexualité, la rébellion ou la drogue. Le rapport aux autres n’est dès lors qu’un outil pour construire sa propre image, avec ces personnages qui mentent sur les filles qu’ils voient, ou bien réfléchissent à qui draguer ou non en fonction de comment ils seront perçus. Seul Bruno semble parvenir à s’affranchir du regard des autres ; sa relation se termine pourtant sur un échec, comme si adolescence rimait nécessairement avec vie romantique chaotique. Elle rime également avec politique, laquelle permet de se définir — à un degré plus ou moins important selon chacun ; certains s’en servent uniquement comme un nouveau moyen pour plaire au filles ou ennuyer l’administration. Un autre chaos se dessine : c’est le milieu des années 70, les révoltes étudiantes sont déjà passées, et ces jeunes peinent à trouver et comprendre leurs luttes, sachant qu’ils passent après une génération marquante. En témoigne la discussion entre Leon (le plus investi politiquement de la bande) et son grand frère soixante-huitard, lequel rabaisse l’engagement du benjamin en lui parlant des « vrais combats » de son époque.

Deux questions se croisent alors : celle de leur jeunesse est de savoir s'ils deviendront les adultes qu’ils imaginent, tandis qu’au présent ils cherchent à savoir s'ils rendent justice à leurs ambitions passées. Chaque personnage a son évolution propre liée à son archétype (l’ultra politisé, l’idiot de la bande, le timide, le fils d’immigré qui cherche à s’émanciper de sa famille…), faisant de chaque individualité adolescente un être aussi atypique qu'attachant, mais tous finissent par se retrouver, à l’âge adulte, sous la catégorie uniforme de « chic type à marier ». Il n’y a que Tomasi — incarné par le joyeusement détestable Romain Duris — qui reste le même, puisque sa disparition prématurée ne laisse de lui que des souvenirs de son esprit rebelle et solitaire.

Convoquant une ambiance flottante qui n’est pas sans rappeler le Dazed and Confused de Linklater, Klapisch met en place quelques séquences qui semblent hors du temps et lui permettent un grande liberté de mise en scène ; Le Péril Jeune semble soudainement s’éparpiller vers les horizons différents de de Tomasi, Alain, Leon, Bruno et Momo. On pense bien sûr à la séquence du cours de biologie sur l’accouchement, où le film projeté par leur professeur — qui provoque un mélange de rire et malaise dans la classe — gagne une dimension quasi hypnotisante ; mais aussi, bien sûr, au trip sous acide de la bande qui s’étire jusqu’à l’épuisement (le sien, le leur, le nôtre). C’est peut-être de ces instants suspendus, ces déraillements d’une mécanique pourtant huilée et générationnelle, que ressort une grande mélancolie, nous disant qu’à qui ne parviendra pas à s’adapter au système, aucune place ne sera gardée, et il est alors vain de la chercher.


Pauline Jannon

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