Critique du film Le Garçon et le Héron

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Par Super Seven

le 01/11/2023

SuperSeven :


Le cul entre deux mondes


Dix ans que Hayao Miyazaki, légendaire cinéaste d’animation et (co)fondateur du Studio Ghibli, n’avait pas fait de film. Dix ans depuis Le vent se lève — l’avant-dernier, donc —, qui avait déjà tout du film-somme et conclusif, et après lequel Miyazaki avait déclaré prendre sa retraite. C’était sans compter sur un dernier sursaut, qui prend le joli nom qu’est Le Garçon et le Héron. Sorti dans le plus grand secret (hormis un unique poster) au Japon en juillet, puis projeté dans différents festivals, le sésame nous parvient enfin, mais n’est pas à la hauteur des attentes.

Les premières minutes mettent pourtant parfaitement dans le bain. Le drame de l’introduction, sur fond de guerre, est confronté d’emblée à la beauté des images que Miyazaki et son équipe d’animateurs ont préparé pendant sept ans, lesquelles permettent une plongée immédiate dans l’enjeu et l’univers à suivre. Il en est de même pour la mort métaphorique de la mère qui, plutôt que se faire dévorer, se transforme en flamme comme pour contrecarrer poétiquement la violence du moment. C’est plutôt après que ça se gâte. Miyazaki entend développer le deuil de Mahito, tant à travers les questionnements sur sa place dans le monde que par la nécessité de combler un manque familial et de trouver ses valeurs. Pleine de sobriété, cette lente découverte d’un nouvel environnement fonctionne habilement au premier abord. Son début de confrontation avec le Héron annoncé se veut même amusante et révèle beaucoup du caractère égoïste et renfermé du héros.

Passé ce plaisir de la découverte, la narration bascule et laisse place à un voyage métaphysique et symbolique pour Mahito, et la simplicité initiale cède place à une écrasante lourdeur. Miyazaki travaille parfaitement la frustration du spectateur, mais ce perfectionnisme, aussi voulu puisse-t-il être, témoigne d’un échec de sa part. Les questions sans réponse s’accumulent – ce qui, a priori, n’est pas grave en soi – et Le Garçon et le Héron déploie progressivement un certain onirisme qu’il ne mérite que rarement, se complaisant dans une esbroufe visuelle faussement intellectuelle qui relève plus de la démonstration que de l’expression d’un quelconque propos ou même d’étoffer ceux déjà présents. À enchaîner les images impressionnantes mais à la signification absente, l’intérêt s’estompe peu à peu.

Un plan reste toutefois en tête : Mahito devant un portail sur lequel est inscrit "Ceux qui chercheront à comprendre périront". La voilà la réflexion sur le deuil ! Il ne s’agit pas de le comprendre mais bien de le vivre et de le ressentir. Hélas, cet élan réflexif est noyé dans un film qui préfère virer au melting pot d’idées visuelles que Miyazaki avait absolument envie de montrer avant de définitivement prendre sa retraite. D’où une impression de remplissage et de déroulé mécanique de l’histoire vers un point sur lequel il serait satisfaisant de conclure — l’incompréhensible Roi des Perruches vient forcément en tête. Aussi, le Héron — censé être le guide physique et spirituel du protagoniste dans les autres mondes — s’avère inutile ; il est constamment tourné en ridicule, dans un rôle de couard destiné à faire rire les enfants. Cet humour peu travaillé, qui tend à l’infantilisation du spectateur – laissons de côté les répétitions du gag raté des perruches –, parachève de rendre horripilant une œuvre que l’on ne pensait pas capable de tomber si bas.

Paradoxalement, difficile de vouloir de détester Le Garçon et le Héron. Le travail à l’écran impose le respect et révèle un amour dans l’approche du réalisateur et de son équipe. Si seulement les intentions pures de la forme avaient déteint sur celles du fond, la grande œuvre promise existerait peut-être, et serait à la hauteur de la magnifique bande-son de Joe Hisaishi, collaborateur historique de Miyazaki. Tant pis ! Le cinéaste a récemment avoué qu’il ne s’agissait finalement pas de son ultime film. Devons-nous nous réjouir ou craindre le pire ? Espérons déjà que ce futur opus puisse voir le jour.


Pierre-Alexandre Barillier

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