Critique du film Le Deuxième Acte

logo superseven

Par Super Seven

le 15/05/2024

SuperSeven :


« On est sur le point d’entrer dans le vortex cannois », dixit Camille Cottin en introduction du Festival de Cannes 2024 au milieu d’un discours préfigurant l’absurde à venir. Un monde parallèle censé s’ouvrir sous de bons auspices avec le nouveau film de Quentin Dupieux, Le Deuxième Acte, trois mois seulement après la sortie de son plaisant Daaaaaali!, pour finalement tendre au naufrage inattendu.

Après le théâtre (Yannick) et la peinture (Daaaaaali !), Le Deuxième Acte parle explicitement de cinéma. Le film que nous commençons à regarder s’avère être le tournage d’un autre, et un jeu s’instaure rapidement. Dupieux brouille d’ailleurs habilement la frontière entre ces deux strates de récits, montrant des acteurs nuls qui ne peuvent s’empêcher de sortir de leurs jeux respectifs — on pense au gag de la ligne de dialogue qui se transforme en véritable débat entre deux comédiens qui abusent de leurs mimiques connues plutôt qu’entre leurs personnages — face au déroulé du film tel qu’il est censé se passer. Ce jeu est néanmoins l’arbre qui cache la forêt et ce qu’elle contient d’insupportable : blagues déplacées et ratées sur les violences sexuelles et la cancel culture (un personnage qui force pour embrasser un autre avant de nier avoir mal agi) ou sur les personnes transgenres. Dupieux apparaît plus que jamais comme un vieux cinéaste, préférant se moquer de l’industrie du cinéma — ce qu’elle mérite amplement — de manière graveleuse, datée et surtout incroyablement hypocrite : les acteurs ne savent rien faire, ils n’aiment personne sauf eux-mêmes et les figurants sont du bétail facile à vanner. Bien sûr, rien ne l’empêche de critiquer la grande famille du cinéma français, qui est autant faillible que le film lui-même, mais la manière de le tourner — littéralement — est vite écœurante. Même les quelques pistes abordées ne semblent pas l’intéresser et tiennent lieu de prétexte à la rigolade, l’intelligence artificielle en tête d’affiche qui, malgré un potentiel passionnant eût égard à ce qu’il a déjà esquissé à ce sujet (les machines qui prennent vie sont fréquentes dans son cinéma, du pneu de Rubber au robot de Fumer fait tousser en passant par le sexe mécanique de Benoit Magimel dans Incroyable mais vrai), s’avère stérile. Parler du remplacement de rôles essentiels dans la production par le prisme d’un tournage d’un petit film semble pertinent mais Dupieux la joue boomer en la réduisant à un seul gag : un bug qui provoque une répétition de phrase, voire de morceau de phrase, jusqu’à l’usure. C’est d’autant plus regrettable qu’il fait par ailleurs de cette IA la réalisatrice du film dans le film, de sorte que sa mise en scène s’adapte à ce parti-pris qui se voudrait économe et peu réfléchi ; une série de plans séquence interminables qui virent à la torture pour les discussions d’un côté et la fameuse règle des 180 degrés est malmenée à plusieurs reprises de l’autre. Une idée séduisante en théorie, mais en limitant son envie de satire à mal faire pour dénoncer une certaine médiocrité Dupieux parasite son effet comique qui lasse plus qu’il n’amuse. La transition du film raté vers celui abouti ne s’effectue jamais organiquement, la partie supposément qualitative n’étant qu’une quasi redite de la précédente pour amener à un ultime retournement : le film dans le film est en fait un autre film. Dupieux pousse le vice de son amour du comique de répétition (tant au sein des scènes qu’à l’échelle de sa filmographie schématique) jusqu’à la nausée, quitte à nous laisser sur le carreau une bonne fois pour toutes.

Alors on se raccroche aux acteurs, symboles ici de l’hypocrisie du milieu qu’il s’agit de dénoncer. Le Deuxième Acte agit comme un miroir : ses deux moitiés sont identiques — dans la mise en scène et l’emplacement des lieux — mais l’ordre des séquences s’inverse ; le quatuor qui joue très mal au départ (conséquence du tournage qui se passe mal) tend progressivement à un jeu plus naturel et appréciable, en théorie seulement. En pratique Vincent Lindon, Léa Seydoux, Raphaël Quenard et Louis Garrel, coincés dans leurs archétypes, restent tous mauvais. Peu d’évolutions pour eux malgré quelques (rares) pointes d’humour ou d’émotion dans des scènes familiales qui les font sortir de leur monotonie ; Florence (Léa Seydoux) est à ce titre la plus touchante et sincère quand sa vie de famille perturbe le microcosme cinéma par le biais d’un appel FaceTime qui ouvre le film au monde extérieur. La bande n’est toutefois pas aidée par les « blagues » à faire, censées révéler les faux-semblants de leurs personnages (tant ceux du film raté que les acteurs qu’ils interprètent dans la mise en abîme), qui tombent à plat : l’homophobie affichée par Willy (Raphaël Quenard) et Guillaume (Vincent Lindon) camoufle leur relation, Florence (Léa Seydoux) ne sait même pas vendre de légumes — les acteurs ne savent rien faire, vous ne l’aviez pas compris ? —, les acteurs détestent tous leurs collègues… Le Deuxième Acte permet finalement d’interroger en creux la fatigue du cinéma de Dupieux. Nombre des procédés comiques s’inspirent de ses anciens films voire en sont carrément tirés ; le bug de l’intelligence artificielle rappelle le « Changement d’époque en cours » du robot de Fumer fait tousser, lequel a pour lui un regard mélancolique sur cette équipe de super-héros. Le gag est ici réduit à sa pure finalité, le rire, sans dire plus que « l’intelligence artificielle déconne, ne sait rien faire et c’est parfois marrant ». L’étirement de l’humour — noyau dur de ce Deuxième Acte qui ne jure que par le malaise croissant — rappelle quant à lui Daaaaaali!. Cependant, le faux portrait du peintre joue d’une certaine économie dans l’utilisation des mêmes ressorts de comédie ou de dialogue ; la séquence du couloir en introduction, par exemple, ne trouve un réel écho qu’au milieu avec les rêves successifs et à la fin pour conclure le documentaire réalisé par Anaïs Demoustier sur le peintre.

Avec trois films en huit mois, la baisse de régime de Dupieux est telle qu’on en vient à de demander si la prochaine étape n’est pas de se contenter de mettre des bruits de pets pour amuser la galerie. L’ultime plan sur des rails de travelling ne manque pas de culot, avec ce geste méta du cinéma se filmant lui-même qui, s’il étonne par sa justesse, fait se questionner sur ce qui le précède : Dupieux tente-t-il de nous attendrir en mettant à nu son processus machinique qui tournerait à vide ? Ou s’agit-il d’une provocation suprême au spectateur en matraquant jusqu’au bout son délire de mise en abîme malsaine ? L’avenir nous le dira. Quoiqu’il en soit, il est grandement temps de changer de rails.


Pierre-Alexandre Barillier

2e acte image.jpeg