Critique du film La Vénus d'argent

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Par Super Seven

le 22/11/2023

SuperSeven :


Passion triste

Le deuxième film d’Héléna Klotz, qui propulse la chanteuse Pomme (de son nom de naissance Claire Pommet) dans le monde de la finance et de la banque d’affaires, aurait de quoi réjouir si l’on s’en tenait à ses prémisses. En présentant son personnage, une jeune femme impassible, prête à tout pour gravir les échelons, la cinéaste s’affaire à enregistrer les substances esthétiques de l’ultracontemporain. L’extrême précision d’un cadrage en angles droits épouse la minéralité des tours de Beaugrenelle et de la Défense dans lesquelles elle évolue, et, surtout la froideur métallique – mathématique – de sa tête d’affiche, « neutre, comme les chiffres ». Lui est opposée dès l’introduction une confrontation à sa propre chair, blessée lorsqu’elle fracasse la vitrine d’un magasin de prêt-à-porter de luxe pour voler le costume qui lui sert à postuler à son premier entretien d’embauche. Car si ce personnage éminemment cronenbergien (et qui dans sa stature rappelle le monstre apathique que Ducournau synthétisait dans Titane) se pare d’un tel exosquelette, c’est pour mener à bien un transfuge de classe, elle qui passe tous les matins de sa cité HLM aux skylines parisiennes. De même, l’incursion de la musique techno, qui sature son univers auditif, complète cet univers numérique dans lequel on attend du refoulé organique ressurgir à point nommé. Un programme intéressant quand il prend une fonction bourdieusienne ; elle est prise sous son aile par un trader chevronné, qui lui fait découvrir les habitus qu’elle doit recouvrir dans ce grand jeu de représentation. Les choix de casting – Pommet, accompagnée du rappeur Fianso (Sofiane Zermani) dans le rôle de son mentor – comptent parmi les grandes idées de cette première partie. Les deux « parvenus », si juste soient-ils, doivent se fondre dans une profession qui n’est pas la leur. L’un comme l’autre (Zermani le premier) portent le stigmate d’un univers de provenance différent : nul besoin de signifier à l’écran l’origine du trader pour imaginer qu’il est lui-même issu d’un transfuge.

Très vite, La Vénus d’argent tourne au vinaigre, lorsque l’appareil se dote d’un parcours scénaristique autour du dilemme de la jeune femme entre son milieu d’origine (auquel elle se reconnecte à l’affect) et un monde professionnel où elle subit des stigmates de rejet. Ce qui la fait craquer, c’est la peine à quitter sa famille, mais surtout une histoire d’amour avec un ancien militaire (Niels Schneider) – donnant lieu à un aparté symbolique, qui trace une tangente commune avec le régime d’uniformes carnassiers, en voie de digitalisation, idée qui n’est que survolée maladroitement au dialogue. Surtout, tout cela noie l’implacable stylisation du départ dans la convention. Dans ce tournant « fiction française », si abrupt qu’il semble parodique, le film se trouve confus au point d’hésiter entre sa destinée structuraliste et un réflexe conservateur. L’échec subi par la protagoniste n’a rien de définitif pour son projet, et son repli vers l’origine apparaît plus motivé par une réhabilitation de valeurs prolétaires fantasmées.
La conclusion la fait revenir à la Défense, pour un ultime entretien d’embauche, sous les traits de son ancien avatar, dont elle surjoue les traits de cynisme pour entériner son choix d’appartenance sociale comme d’expression du moi – deux enjeux judicieusement corollaires au cours du film, jusqu’à ce qu’ils deviennent surexposés ad nauseam.
La chute libre s’arrête sur une déambulation clipesque en guise de séquence finale, dans les décors si bien ciselés par la première partie, et dont la vacuité finit d’acter l’explosion en vol d’un projet pourtant si prometteur – probablement castré par une tragique obligation scénaristique, difficile à dépasser pour qui aurait à financer une œuvre à l’objet esthétique si audacieux.


Victor Lepesant

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