Critique du film La Romancière, le Film et le Heureux Hasard

logo superseven

Par Super Seven

le 14/02/2023

SuperSeven :

Hong Sang-soo, adepte de la mise en abyme, notamment sur le rôle de l’artiste, revient avec les thèmes qui lui tiennent à cœur dans La Romancière, le Film et le Heureux Hasard, Ours d’argent de la Berlinale 2022. Il y dresse le portrait de Junhee, romancière reconnue au for tempérament, à travers trois tableaux où plusieurs rencontres (un réalisateur et sa femme, puis une comédienne) vont l’amener à se trouver.

Hong Sang-soo s’est souvent interrogé sur la figure du photographe / cinéaste. Ici, la romancière reste polie vis-à-vis du metteur en scène avec qui elle a failli collaborer, ainsi qu’envers sa femme, tout en ayant de plus en plus de mal à masquer son agacement et son impatience. Elle a besoin d’être seule, et ses interlocuteurs ne semblent pas le remarquer. Pire, ils ne s’en soucient pas. Leur hypocrisie n’en est que plus flagrante, entre compliments jusqu’à baver sur l'interlocuteur et sourires à pleins dents, sans oublier les banalités. « Vous avez du charisme » ; « Oh mais vous aussi, vous avez du charisme ». Les échanges restent en surface, tout en évitant consciencieusement d’évoquer les précédents différends auxquels il a fallu faire face sur un certain projet commun.

A l’instar de cette première entrevue, celle entre Junhee et Kilsoo est teintée de pudeur et de sincérité. Toutes deux prennent rapidement conscience de leur traversée commune d'une crise artistique. Chacune de son côté prend alors le temps de marcher et de se demander si ce qu’elles ont pu créer dans leurs domaines respectifs vaut encore la peine. Une interrogation à laquelle les personnes autour d’elles, proches ou non, veulent répondre en essayant de les persuader à reprendre leur parcours professionnel qui les a considérablement lassées. Et pourtant, cette rencontre, plus que fortuite, pousse Junhee à admettre qu’elle veut réaliser un film dans lequel Kilsoo jouerait le premier rôle, ravivant ainsi leur désir mutuel de création.

La Romancière, Le Film et le Heureux Hasard est dès lors une énième variation hong sang-sienne qui s’exprime par des plans moyens en noir et blanc, fixes, où les acteurs qui conversent entre eux restent dans le même champ. Ce qui ne rend pas nécessairement la communication plus limpide. L’échelle des plans trahit la pensée des protagonistes, témoins de leurs postures et de leurs regards ; Junhee et le réalisateur se tournent souvent le dos et ne se regardent pratiquement pas dans les yeux. Avec Kilsoo, lors de leur premier échange, elles ont également du mal à cela dans un premier temps, mais plus par timidité ; leur rire franc et un peu gêné, marque d’admiration, se démarquant nettement des rires de l’épouse du cinéaste, mal à l’aise de n’avoir rien à dire sinon des compliments mielleux. Les dialogues n’en finissent jamais. Comme d’habitude, ils noient d’abord pour finalement dissimuler ce que les personnages ne peuvent articuler clairement à haute voix.

Contrairement à Marivaux, chez Hong Sang-soo, le hasard existe tout en faisant bien les choses. Deux êtres n’ayant pas le même âge, ni la même profession, mais partageant une soudaine même envie, qui est celle de créer et collaborer ensemble, peuvent se trouver de la manière la plus banale au monde. On sait déjà à l’avance ce qu’engendre le fait de recroiser d’anciennes connaissances avec qui l’on ne se gêne pas pour se comporter en tartuffes, mais nul ne soupçonne l’importance du hasard qui nous mène à des personnes, symboles d’un nouveau tournant, qui se trouvent sur notre chemin au moment où nous nous y attendons le moins.


Talia Gryson

la romanciere image.jpeg