Critique du film La Pietà

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Par Super Seven

le 28/01/2023

SuperSeven :

Dur de mettre des mots sur un tel visionnage. Eduardo Casanova, déjà auteur de Skin il y a six ans, revient avec La Pietà, un long-métrage taclant l’idée de syndrome de Stockholm au sein d’une relation mère-fils quasi incestueuse. D’emblée, il est compréhensible que La Pietà ne peut pas faire consensus. Son audace peut aussi bien emporter que laisser sur le carreau. Pour légèrement décrire ce dont il est question, tentez d’imaginer l’enfant issu d’une relation entre David Lynch et John Waters. D’un surréalisme fou et jusqu’au-boutiste, le cinéaste extrait une véritable sève camp qui rendrait fiers les deux papas cités plus tôt.

Eduardo Casanova épate directement par la confiance qu’il a dans sa mise en scène. Ultra stylisée et pleine de symboles, elle immerge dans l’aspect viscéral de la relation dépeinte. Si, à première vue, La Pietà ressemble à du Wes Anderson totalement sous crack, où ce dernier aurait utilisé ses jeux de couleurs et son univers visuel aux services d’un bordel à l’allure de conte, il s’agit plutôt du chaînon manquant entre les univers visuels d’Hérédité d’Ari Aster et La Favorite de Yorgos Lanthimos. A l’instar du premier, Casanova enferme ses personnages dans les décors, en cadrant cela comme une véritable maison de poupées, et, là où le second semble inspirer, c’est dans l’utilisation des courtes focales — parfois poussées à l’extrême — rendant plus radical et légèrement décalé un ensemble déjà assez déconcertant, crispant, et surtout extrêmement dérangeant.

Le concept en lui-même est tout autant à saluer. Casanova n’essaie jamais de faire un scénario qui serait au service de celui-ci, évitant ainsi l’insipide et la lourdeur, mais bien évidemment le contraire. Le cœur de La Pietà réside dans les questions de dépendance relationnelle, de toxicité, de syndrome de Stockholm, et de toutes les ambiguïtés décelables dans une relation malsaine. Ici, Casanova brouille toujours les codes et joue avec le spectateur, si bien que, malgré les indices scénaristiques qu’il distille, la folie de ses deux personnages semble infinie ; le raisonnable est lui aussi sans limite, puisqu’il va jusqu’à appeler la mère oppressante Libertàd, tout en la comparant à Kim Jong-il. Les Corée ne sont donc pas épargnées, permettant, elles aussi, de dépeindre l’universalité de la dépendance à la toxicité et le confort qui se créé, une vraie complaisance envers une souffrance qui se banalise. La Pietà passe alors d’une ambiguïté comique-malsaine au pur drame qui choque, peine, à l’inconfort croissant.

L’horreur gisante de prime abord finit de se réveiller dans un cauchemar aux allures sucrées. À coup d’ongle, de modification du corps et d’accouchement — très frontal, qui met totalement à l’amende la tentative d’Alex Garland avec Men —, Casanova maîtrise son sujet, marque sa mise en scène d’une très grande compréhension de la subjectivité des peurs/angoisses de chacun. De plus, ses acteurs — surtout le duo principal Ángela Molina-Manel Llunell — sont tous au diapason, déstabilisants par leurs excès, jeux de corps, tout en perfectionnant l’art du timing comique qui aide les élans de comédie à prendre vie. Michel-Ange a de quoi être fier, son marbre immobile est devenu image en mouvement, et c’est bien là la preuve de l’existence du paradis, du moins artificiel.


Pierre-Alexandre Barillier

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