Critique du film La nuit des rois

logo superseven

Par Super Seven

le 12/02/2021

SuperSeven :


Il était une fois … un jeune prisonnier baptisé « Roman » par ses codétenus. La mission qui lui est confiée, et qu’il ne peut refuser : raconter des histoires du crépuscule à l’aube à l’occasion de la Lune Rouge. Postulat simple et accrocheur, c’est ainsi que « La nuit des rois » nous plonge le temps d’une soirée au sein de la MACA, prison ivoirienne existant véritablement avec ses propres règles et codes.

Entre flashbacks au grand air et longues séquences dans ce lieux clos et insalubre qu’est la MACA, le récit parvient à s’équilibrer avec habileté pour maintenir une tension constante retenant l’attention du spectateur. Nous comprenons assez rapidement le destin réservé à notre protagoniste, mais cela n’a que peu d’importance. Ce qui nous lie à l’histoire n’est pas sa finalité, mais le déroulement de l’histoire de Roman, et la manière avec laquelle il va réussir à passer la nuit. La mise en scène installe une certaine théâtralité à cette soirée spéciale, où chacun a son rôle défini et où le public réagit aux rebondissements narrés par l’acteur – perché sur son piédestal – déballant son monologue. Il ressort finalement de ce décor une poésie authentique, et un côté chaleureux au milieu des crimes de sang froid de ses personnages. Cette ambiance nous permet de passer outre le jeu assez inégal des acteurs, un peu gênant de prime abord, qui s’intègre en définitive assez bien dans l’univers spectaculaire qui nous est décrit.

On peut aussi trouver quelques longueurs à ce récit balbutiant, mais elles sont cohérentes avec l’idée de fond : gagner du temps pour sauver sa peau. Roman n’est pas un conteur professionnel, il est un simple enfant de la rue. À travers sa lutte pour rester en vie, nous nous retrouvons suspendus à ses lèvres, comme nous aussi pris au piège dans cette pièce sombre aux lumières dansant de manière inquiétante sur les visages et, à notre tour, spectateurs de cette pièce. La violence peut survenir à tout moment, que ce soit dans les rues lors des séquences rétrospectives, ou entre les différents gangs de détenus, usant de cette nuit calme pour manigancer des jeux de pouvoirs. Nous restons donc sur nos gardes, sans vraiment savoir de quel côté se placer, à la manière de notre personnage principal jeté au cœur de ce monde contre son gré.

Des éléments politiques s’invitent également dans l’œuvre, reprenant autant la situation étonnante de cette prison dirigée par la loi du plus fort entre les détenus que celle de la Côte d’Ivoire depuis quelques années. On y voit donc ses rues, infestées par les gangs de jeunes embrigadés par les milices, et les rapports de force qui s’y déroulent. Philippe Lacôte insuffle son propos en touches assez subtiles pour nous interroger sans trop nous alpaguer, les distillant à travers son savant mélange de mythes, de magie de contes africains et de réalité.
Nous sentons bien que le réalisateur maitrise son sujet, lui qui se rendait à la MACA pour aller voir sa mère, et qui y a vu dépérir certains de ses amis de quartier. Cela lui permet de délivrer son message de manière efficace tout en proposant une narration accrocheuse même pour ceux moins au fait de la situation géopolitique ivoirienne.

A ce jour, « La nuit des rois » commence tout juste à tracer son chemin. Après une récompense au festival de Rotterdam, le voici en lice pour la nomination au meilleur film étranger aux Oscars. On lui souhaite à notre tour que cette belle route se poursuive avec surtout une sortie en salle dès leur réouverture…


Pauline Jannon

la nuit des rois image.jpg