Critique du film La Montagne

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Par Super Seven

le 01/02/2023

SuperSeven :


Pierre est ingénieur en robotique. Un jour, lors de la présentation de sa nouvelle création à Chamonix, son œil est attiré mystérieusement par la fenêtre. Au loin, une montagne, la montagne, de laquelle son regard – et sa vie – ne pourra plus être détaché. Naît une passion obsessionnelle, aux atours didactiques en premier lieu. Car pour gravir la montagne, il faut la connaître, la respecter. À cette entreprise, Thomas Salvador excelle. Se la jouant moins aventurier herzogien, que petit homme banal en quête de ses désirs enfouis dans un cadre – littéralement – grandeur nature, il propose une approche taiseuse et humble. Point de gros spectacle, seulement une découverte pas à pas d’un territoire immaculé, sur lequel se frayer un chemin relève de la prouesse physique, et ici technique, pour mieux se retrouver.

Loin de l’ego trip agaçant de quarantenaire aisé voulant des sensations fortes qu’il pourrait être (Salvador joue le rôle principal et fait les cascades), La Montagne puise dans sa simplicité une étonnante méditation sur le soi et l’équilibre. Le refus initial de la redescente de Pierre, sa volonté féroce de déconnexion de la monotonie du bas pour mieux embrasser la symphonie du haut, n’est pas tant une invitation à l’idée de la reconnexion absolue avec la nature, qu’une première étape dans l’écoute de ses besoins. À ce titre, l’incompréhension relative de sa famille quant à ce nouveau choix de vie permet de resserrer le film sur l’essentiel : comment vivre avec une obsession ?

Partant de l’état de fascination qui en constitue la base, Salvador observe avec rigueur l’environnement, dans un ensemble quasi documentaire qui impose le respect ; il va même jusqu’à filmer un cours d’alpinisme, ancrant définitivement son récit dans une réalité concrète. Puis, après la maîtrise des bases, l’appel de l’inconnu, le vrai. Pierre n’obéit à rien sinon à la majesté de son sujet, il ricoche de paroi en paroi, de flan en flan, comme un gosse qui réagit à la moindre révélation qui lui est faite sur ce qui l’anime. Surtout, il est appelé de plus en plus par les subtilités de la montagne, ses mystères, qui renvoient à l’énigme qu’il est lui-même. Un nuage de brumes devient une zone à étudier, tandis qu’un effondrement suscite la curiosité et la volonté d’aller sur le terrain pour mieux s’imprégner.

Ce faisant, La Montagne mue en conte fantastique aux soubassements écologiques. La condition des glaciers, jamais abordée frontalement, est un contexte visible et palpable qui trouve dans les lueurs une forme d’incarnation. Cet attrait métaphysique des éléments, des corps finit par s’emparer d’un récit qui gagne tant en trouble qu’en clarté ; à mesure que tout s’obscurcit sur ce qui gît au creux de ce « mille-feuilles » qu’est la montagne, le destin de Pierre, lui, s’illumine – littéralement de nouveau. Il s’agit d’aller au fond des choses pour en retirer de l’expérience – d’où l’envie de Salvador de se confronter directement à son décor –, une nouvelle vision du monde, de l’autre. Les lueurs ne prennent pas possession de son corps, elles le nourrissent seulement de leur vécu pour mieux irriguer le sien et l’amener à se réaliser. En témoigne la fusion avec le cœur du massif de glace, suivie d’une renaissance et lévitation confinant au sublime, où la nature accompagne celui qui est prêt à donner sa vie pour la comprendre. Tout coule de source, et rien ne vient heurter la magie initiatique et envoûtante de cette aventure, véritable source d’émerveillement de chaque instant.

Aussi, la descente refusée finit par s’imposer. D’abord suite à un accident qui emmène le héros à l’hôpital. Puis, après son retour de la montagne et une nuit passée avec Léa (Louise Bourgoin), personnage relai qui, par la complexité qu’elle véhicule à chacune de ses apparitions et l’impression d’omniscience quant au parcours de Pierre (elle arrive à le retrouver dans son expédition suicidaire), agit comme une extension de la montagne, une créature quasi mythologique. Pour trouver l’équilibre, Pierre doit aimer, accepter la vie extérieure et s’installer quelque part entre le sol et le sommet, à l’affût du moindre son qui le fera revenir en hauteur. La Montagne de Salvador n’est peut-être pas sacrée, mais son mysticisme est bel et bien unique.


Elie Bartin

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