Critique du film La Méthode Stutz : Un bonheur à construire

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Par Super Seven

le 09/01/2023

SuperSeven :


STUTZ : L'HOMME QUI A LA CLÉ DU BONHEUR ?

Après Mid90s, ode à la jeunesse qui s’émancipe et fait des erreurs, qui avait conquis bon nombre de cinéphiles, le nouveau film de Jonah Hill, La méthode Stutz : un bonheur à construire, est sorti en catimini en novembre dernier. Certes probablement noyé au milieu des attentes de fin d’année de la plateforme (entre le Pinocchio de Del Toro, Bardo de Iñarritu, Glass Onion…), difficile d’imaginer que ce documentaire intimiste, où l’acteur-auteur se livre à cœur ouvert sur sa relation avec son psychiatre, attire les foules.
C’est aussi ce qui rend le projet intrigant : comment mener une telle entreprise sans que le spectateur ne ressente une sensation d’intrusion dans une conversation intime ? Ce professeur Stutz est-il si différent de l’image que l’on a des psychiatres ? Et s’il possède des outils si efficaces pour aller mieux, pourquoi ne sont-ils pas déjà utilisés de partout ?

Stutz s’ouvre sur une séquence dans un joli noir et blanc, où l’on comprend rapidement la proximité entre Jonah Hill et son thérapeute. Ils sont face à face, dans un dispositif classique soignant/soigné, mais ils échangent des blagues basées sur leurs précédentes entrevues. L’alternance des gros plans entre leurs deux visages renforce cette idée de lien très fort, presque familial entre les deux hommes. Il est assez vite révélé que le professeur Stutz souffre de la maladie de Parkinson, rendant très touchant les plans sur ses mains tremblantes, qui dessinent des cartes représentant ses fameux « outils » pour ses patients. Ainsi, à travers ce documentaire, Hill ne cherche pas seulement à exposer les méthodes a priori peu conventionnelles de son médecin, mais aussi à lui rendre la pareille, peut-être le soigner un peu. D’ailleurs, bien que Hill n’aborde pas directement ce qui l’a amené à consulter un psychiatre, les traumatismes personnels de Stutz, eux, tels que la mort de son frère, sont révélés.
La grande bienveillance découlant de cette approche soulève toutefois une première question déontologique : peut-on se permettre d’être si proche de ses patients ? De se dévoiler autant auprès d’eux ? Bien des médecins, quand bien même ils sont des pontes de leur milieu, s’accordent pour dire qu’il vaut mieux éviter d’être le soignant de ses proches – qu’ils adressent à leurs confrères lorsque la situation est trop sérieuse – par risque de manque de recul sur la situation. Alors qu’en est-il de devenir le proche de son patient ?
Si j’ai tendance à être en accord avec Hill sur le fait que la plupart des thérapeutes ont une approche trop passive avec les patients, je pense qu’il existe un juste milieu dans l’écoute active permettant de ne pas verser dans une relation à risque de transfert, ou de grand déséquilibre. Jonah Hill semble en effet souvent outrepasser son rôle, à la fois de patient et de réalisateur, en projetant beaucoup sur cet homme qu’il a l’air de considérer comme un idéal de sagesse, la solution à ses problèmes et par conséquent peut être celle aux problèmes du monde entier. Une nouvelle question peut alors poindre : est-ce bien éthique de la part de Stutz d’avoir accepté le tournage de ce documentaire ? N’est-ce pas aussi le rôle du médecin de savoir poser des limites afin de ne pas devenir trop important pour ses patients, ne pas créer lui même la dépendance à un système de soin qui devrait être là pour accompagner vers une plus grande autonomie ?

Il faut, pour mieux comprendre ce documentaire, avoir en tête que la conception américaine de la psychothérapie est assez différente de celle européenne. En Amérique dominent les thérapies dites « behavioristes » et cognitives, c’est à dire centrée sur les causes externes et traumatiques à la souffrance du patient. Approche intéressante, mais qui reste assez sourde à de nombreux mécanismes internes et inconscients, peut-être mieux explorés dans la psychothérapie telle que développée en Europe, ou encore dans des thérapies groupales.
En tout cas, il suffit de se pencher ne serait-ce que succinctement sur l’histoire de la psychiatrie pour envisager qu’une telle proximité entre soignant et patient peut s’avérer très risquée. Irvin Yalom, autre grand psychiatre américain contemporain s’est d’ailleurs saisi de ces questions à travers ses récits mélangeant fiction et histoire médicale, notamment dans Et Nietzsche a pleuré où il traite de l’affaire Anna O. dans la carrière de Joseph Breuer – l’un des pères fondateurs de la psychanalyse –, émettant l’hypothèse que sa relation avec cette femme, ayant pourtant permis des découvertes alors révolutionnaires pour l’époque sur la thérapie par la parole, ont condamné Breuer à n’être plus que l’ombre de lui-même, en proie à des tourments moraux.

Toujours est-il que Jonah Hill prend rapidement cette introduction à contrepied, en changeant brutalement de dispositif. L’image passe en couleur, le décor se révèle être un fond vert et il retire la perruque qu’il porte en expliquant qu’il essayait de créer jusque là l’illusion que le documentaire était le fruit d’une seule conversation et non de deux ans de travail, mais qu’il a finalement décidé d’être honnête. Démarche sincère ou bien technique pour attiser la sympathie du spectateur ? Difficile à dire, mais on peut aussi y trouver un écho avec le schéma d’une thérapie, où le patient ne se dévoile pas entièrement dès le départ, cachant ses fragilités à celui qui est pourtant censé les soigner.

En réponse aux insécurités de son patient, et par extension de toutes les personnes qui ne sont pas bien dans leur peau (peut-être les spectateurs du documentaire ?), Stutz déploie donc un certains nombre d’outils qu’il présente à travers des explications logorrhéiques et de jolis mots qui ne veulent pas dire grand chose. La « force vitale », la « partie X », le « royaume de l’illusion »… tous ces outils sonnent finalement assez creux lorsqu’ils sont censés décrire des idées aussi vagues que l’inconscient. Et alors qu’ils sont présentés comme des concepts pouvant changer notre vie, on ne peut s’empêcher de passer chaque phrase à attendre la suivante pour voir si celle ci nous apportera cette fameuse clé qui, pardon de ruiner vos espoirs, n’arrive jamais. La seule chose à retirer de sa méthode serait son concept de petite cartes à emporter chez soi, avec des dessins explicatifs de ces fameux outils. Car même si ces derniers ne sont finalement pas bien convaincants, l’idée qu’un patient puisse ressortir d’une session de thérapie avec quelque chose de palpable et matériel est assez belle, surtout si il a du mal à accepter et concevoir une aide simplement morale.

En poursuivant un peu les recherches sur ce fameux psychiatre, on découvre vite qu’il est l’auteur de plusieurs livres tels que Les 5 outils de l’épanouissement : surmontez vos difficultés pour aller de l’avant ou encore La méthode Tools : les outils pour transformer vos difficultés en confiance en soi, joie de vivre et force intérieure. De bien longs titres qui ressemblent fort aux ouvrages de charlatans en vogue sur « l’empowerment » ou « développement personnel » qui vous font croire qu’ils vont changer votre vie en vous rabâchant des concepts bateau de type « + = + ».
Si seulement la psychiatrie était si simple… Et il est bien là le problème de Stutz, attraper ses spectateurs par des sentiments simples, plutôt que de chercher à faire ressortir les émotions complexes.


Pauline Jannon

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