Critique du film La Main

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Par Super Seven

le 29/04/2021

SuperSeven :


Sorti quatre ans après In The Mood for Love, La main en est comme le petit frère méconnu, à l’instar des Anges déchus avec Chungking Express. Il s’inscrit dans le triptyque Eros, composé aussi de deux autres moyens métrages signés Steven Soderbergh et Michelangelo Antonioni.
Si La main ressemble à son aîné, c'est par son intrigue faite de chassés-croisés, où la passion n'est visible que par intermittence mais sous-tend toutes les scènes. Par son image et son univers également, qui recrée, à travers la relation entre un tailleur et sa cliente, un Hong-Kong d'époque et son atmosphère pittoresque. Ici, Wong Kar-wai reprend sa thématique romantique, et nous prouve que pour lui l'amour est toujours incomplet, comme teinté d'impossible. Les autres relations, purement sexuelles, ne sont vues qu'à travers la mécanique sordide du grincement d'une table, d'où ne dépasse qu'une jambe inanimée, témoignant d'un corps vide.

"Si il n'y avait pas votre main, je ne serai pas devenu tailleur". L'histoire est bien celle d'une obsession, déclenchée par la fameuse main du titre, dont la présentation positive ici faite peut déranger. Wong Kar-wai cherche l'humanité chez son protagoniste, et il le fait en montrant en quoi sa passion est la source du plus profond respect. Il est un véritable compagnon de vie de Gong Li, un serviteur de l'ombre, qui lui rend service dans ses pires moments, en payant son loyer ou en gardant ses robes. Leur relation amoureuse devient alors un jeu implicite, celui de deux amants qui sont conscients de l'être mais que leur différence éloigne. Ils se rapprochent par instants, toujours à travers les mains, et ces instants montrent bien l'évolution de leur relation, qui passe d'une ambiguïté morale à un pur don de soi. Ces gestes de la part du personnage de Gong Li dont on ne connaît pas la nature des sentiments, témoignent quand même d’une grande affection pour son ancien protégé.

Le moyen métrage nous livre en 50 minutes un savant agencement entre le visible et l’invisible. Le premier s’exprime à travers les miroirs, dans lesquels Gong Li cherche les preuves de sa beauté. Les images que ceux-ci lui renvoient ne sont pas uniquement les témoins de sa superficialité mais se font également indices de son désarroi face aux aléas de la vie qui la malmènent. On peut ici tracer un parallèle entre l'image du miroir et celle enregistrée par la caméra, qui révèle les émotions présentes sous la surface, où le fond prend le pas sur la forme. L’invisible, lui, se ressent à travers le visage du protagoniste, qui cherche dans son travail un rapprochement avec celle qui lui a fait découvrir ses sens. Son ballet nocturne, de gestes et de déplacements, est l'image cryptique de sa passion qui ne transparaît pas. En cela, La main peut ennuyer, mais seulement si on l’on ne parvient à lire entre les lignes.

C'est au fil des aléas de la vie, ponctués par des plans dont la reprise à l'identique souligne le passage du temps, que par de rares instants la passion s'incarne. L'invisible rejoint le visible et c'est l'épiphanie, sublimée par le thème musical. Elle est là, la rupture avec In The Mood for Love. Si la passion est toujours teintée d'impossible, elle fait cependant surface. Néanmoins, les quelques instants de grâce ne suffisent pas et, dans le dernier plan, notre protagoniste présente enfin l'émotion sur son visage, ravagé par le regret. Même dans la volupté, semble nous dire le réalisateur, il n'y a pas d'amour heureux.



Etienne Tar

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