Critique du film La loi de Téhéran

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Par Super Seven

le 07/08/2021

SuperSeven :


En voyant “Un des meilleurs polar que j’ai jamais vu” signé par William Friedkin (L’exorciste, French Connection, Sorcerer) sur l’affiche du film, deux réactions sont possibles :

“C’est juste de la pub il a peut-être produit le film” ou “ Le maître a parlé, il faut que j’aille voir ça”.

On entre dans la salle, on s’assoit et la séance commence. Tout démarre avec une séquence bourrée d'adrénaline, a mi-chemin entre le film policier et celui de zombie. Une brigade lance un raid dans un endroit reculé de la ville de Téhéran, à la recherche d’un dealer de crack. Là se mélangent les usagers, leur familles, leurs voisins, des enfants, des animaux, tous entassés les uns sur les autres et vivant dans des cylindres en béton. La composition du cadre est ici à la fois sublime et effrayante. Les drogués voguent dans ces tubes comme la fumée dans une pipe, ou bien y restent immobiles comme des corps dans un cercueil. La disposition rappelle presque les hôtels “capsules” au Japon, version crack-head.

Un autre moment marque les esprits, la course effrénée dans les rues de Téhéran. La caméra est précise, le montage est ultra-rythmé et nous fait palpiter à chaque instant. Le dealer sillonne les allées et petits passages, connaissant le quartier comme sa poche. C’est son terrain de jeu et, finalement, il arrive presque à semer ses poursuiveurs. Seulement voilà, lorsqu’il arrive enfin à sauter un dernier grillage, il tombe dans une immense fosse, impossible d’en sortir. Ce n’est pas la police, mais des tonnes de gravier et de terre qu’une pelleteuse déverse qui le coincent. Étouffé par le bruit du chantier autour de lui, personne ne l'entend crier à l’aide. Dans un pays où la vente de crack est punie par la peine de mort, il ne fait que recevoir son châtiment de façon précoce.

Dans ces quelques premières minutes, Saeed Roustayi nous régale déjà d'une mise-en-scène et un cadrage hallucinant de réalisme, à la limite du naturalisme. Ce qui est si puissant dans La Loi de Téhéran, c’est sa force de proposition. La progression de l'enquête qui vise à rechercher Nasser Kahzad, baron de la drogue, est un chemin semé d'embûches pour Samad – notre enquêteur vedette. Il prend cette investigation à bras le corps, connaît tous les rouages du système, et sait qu’il doit fournir des preuves inébranlables au juge, au risque que rien n’aboutisse. Entre les scènes de descentes et d’inspections chez des familles iraniennes, on découvre un homme sans pitié ni tendresse pour ces femmes, enfants et personnes âgées qui pleurent et tentent de faire appel à son empathie, ou bien de le berner.

Mais, impitoyable, il faut l'être pour faire face à ce milieu, et les années passées au sein de cette unité ont forgé Samad à toutes les éventualités. Commence alors ce jeu du chat et de la souris entre Samad, qui cherche à réunir le plus de preuves possibles, et Nasser qui essaie de se servir de son emprise sur les autres. Loin d’être manichéen, le récit arrive à nous montrer la part d’ombre et de lumière dans chacun de ses personnages. La dureté de Samad n’est que le reflet de ses valeurs et de sa foi en la justice. Il veut rétablir l’ordre que l’arrivée du crack a détruit dans sa ville. Nasser Kahzad, lui, rêve de protéger sa famille et la faire jouir d’un confort que seul l’argent peut apporter, un argent qu’il est difficile de remporter par des moyens légaux lorsque l’on a été privé d’éducation et plongé dans la violence depuis le plus jeune âge. Mais ce confort a un coût plus que financier, qui encercle notre antagoniste.

Le titre en anglais du film est Just 6.5 ce qui renvoie au chiffre hallucinant du nombre de consommateurs dans le pays. En effet, 6.5 millions de consommateurs de crack sont recensés en Iran pour un total de 80 millions d’habitants. La Loi de Téhéran ne reflète donc qu’une enquête, avec un seul baron de la drogue qui est traqué ; une goutte d’eau dans cet océan qu’est le trafic de crack. Malgré la répression sévère du système judiciaire envers les consommateurs, et plus encore envers les dealers (une seule peine, la capitale, pour la revente de 30g ou de 30kg), Saeed Roustayi parvient quand même à nous montrer l’impuissance des méthodes employées, et cela ressort dans sa manière de représenter les foules. Des plans étouffants dans les cellules, où le réalisateur enferme le spectateur dans des espaces clos, suffocants, où sont entassés parfois 100 ou 150 personnes dans des cellules de 50m².

On se sent pris au piège avec eux, l’image nous étourdit alors que nous sommes au milieu de moins que des être humains, réduits à leur statut de drogués, serrés dans ces cellules comme des poules dans un élevage industriel. Celui qui suffoque le plus c’est sans doute Nasser, lui qui était si puissant, qui jouissait de son luxe que l’argent du trafic lui donnait, et qui se retrouve tout d’un coup au milieu de ses “actionnaires”.

Confronté à ces espaces clos, Saeed Roustayi exploite encore plus ses mouvements de caméras, allant chercher les visages de ses personnages, profitant des instants où les prisonniers sont interrogés devant le juge pour faire ressortir la grâce de sa direction d’acteur. Un aspect si bien travaillé que l'on oublie parfois que l’on regarde un film, le naturel étant constamment présent. On en vient presque aux larmes lors d’une séquence où un jeune garçon de 10 ans environ essaye de négocier la libération de son père en prenant pour lui ses condamnations.
Finalement, tout ce qu’on voit est peut-être vrai.

La Loi de Téhéran par la force de ses propositions, apportant un regard frais sur le polar/thriller policier, se présente comme une énorme claque. C’est un long métrage à la mise-en-scène chirurgicale, avec des mouvements de caméra toujours soignés, sublimée par le plaisir d’être dans une grande salle obscure pour l’apprécier.


Nikolas « Kosby » Tillier

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