Critique du film La cérémonie

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Par Super Seven

le 20/05/2021

SuperSeven :

LA CÉRÉMONIE : QUE LA TRAGÉDIE COMMENCE !


« J’ai pensé à la cérémonie parce que les deux femmes considèrent cet acte comme une exécution capitale, c’est-à-dire la punition d’une faute dans une société déterminée » - Claude CHABROL


Considéré, de façon sarcastique par son propre réalisateur comme ‘le dernier film marxiste’, La Cérémonie est un film réalisé par Claude CHABROL, sorti en 1995, adapté du roman L’analphabète de Ruth RENDELL, lui-même librement adapté de l’affaire Papin, affaire concernant deux sœurs ayant assassiné leurs patronnes dans les années 1930.

Sophie (Sandrine Bonnaire), jeune bonne à tout faire, est engagée par Georges (Jean-Pierre Cassel) et Catherine Lelièvre (Jacqueline Bisset), un couple de bourgeois vivant dans une maison isolée avec Melinda (Virginie Ledoyen), fille de Georges, et Gilles, fils de Catherine. La timide domestique est analphabète et honteuse de son handicap vis-à-vis de la famille Lelièvre, dont la maison regorge de livres, et elle compte bien le leur cacher. Elle fait la connaissance de la postière Jeanne (Isabelle Huppert), excentrique, expansive et morte de jalousie à l’égard des Lelièvre. Cette dernière prend sous son aile la jeune domestique et amorce la fameuse cérémonie éponyme, une cérémonie au final macabre…

Avec ce film, Claude Chabrol marque les esprits et ne passe pas par quatre chemins. Dès les premiers plans, le metteur en scène nous met devant le fait accompli : les personnages sont divisés. Cette division est partiellement dû à un manque de communication claire. Sophie, introvertie et secrète, refuse de faire part de son analphabétisme à ses employeurs. A contrario, Melinda, la fille Lelièvre, est bavarde et très curieuse, voire indiscrète. D’ailleurs, qui dit manque de communication dit bien souvent manque de compréhension, toujours entre la famille et Sophie. La jeune femme ne comprend pas pourquoi la famille désire à tout prix l’aider en lui achetant des lunettes, en lui offrant des cours pour son permis etc. Ce qui semble, aux yeux des Lelièvre, être de la bienveillance et de la générosité envers Sophie n’est aux yeux de cette dernière qu’une forme de mépris de leur part. Après tout, si les membres de cette famille bourgeoise veulent l’aider, c’est qu’ils le peuvent.
Apparaît ce qui intéresse véritablement Chabrol ici, la lutte des classes. Si la communication et la compréhension entre Sophie et la famille Lelièvre sont pratiquement impossibles, c’est qu’ils n’évoluent pas dans le même monde, et surtout pas dans le même espace. Dès la première scène, Chabrol nous démontre que la rencontre entre Sophie et Catherine Lelièvre au café tient plus du duel que du rendez-vous courtois. Catherine est déjà installée avant que Sophie n’arrive au café. Elle a eu le temps de prendre place là où elle le souhaite. Elle occupe toute la bonne moitié droite du cadre, étale ses affaires sur la table, parle énormément avec une certaine aise. Sophie, elle, est oppressée par le cadre, se voit imposer là où elle doit s’asseoir, reste pratiquement silencieuse ou n’émet que des petites phrases ‘je ne sais pas’, ‘j’ai compris’ de manière robotique, comme pour donner l’impression d’avoir appris un cours d’école par cœur. Le langage renforce le contraste entre la famille bourgeoise et Sophie et Jeanne tout au long du film. Jeanne use d’un langage très direct, voire châtié, contrairement à Mélinda qui s’exprime de façon soutenue, laissant parfois entendre un air hautain non assumé, ou Gilles, le fils Lelièvre, qui utilise des termes que peu de jeunes hommes de son âge emploieraient.
De son côté, plus Sophie se retrouve en situation de détresse, incapable de lire les lettres laissées par Catherine concernant les tâches qu’elle lui demande d’accomplir, plus son sentiment d’infériorité vis-à-vis des Lelièvre s’accroît. Jeanne en profite d’ailleurs pour la convaincre de se dresser contre eux, rendant ainsi la jeune analphabète froide et agressive face à eux. Le sentiment de supériorité des bourgeois et celui d’infériorité des deux femmes issues d’un milieu plus modeste se ressent d’autant plus à l’intérieur même de la maison. Le seul endroit dans lequel Sophie peut se sentir ‘libre’ est sa chambre, où elle peut regarder la télévision. Une chambre qui se situe à l’étage, ironiquement au-dessus du salon, où les Lelièvre passent la majeure partie de leur temps. Cette chambre est son endroit, celui où elle peut enfin se sentir ‘au-dessus’ d’eux. Par ailleurs, le salon est, au départ, une pièce dans laquelle Catherine invite à peine Sophie à entrer. Cependant, cette dernière transgresse cet espace deux fois : une première fois pour tenir tête à Georges Lelièvre, une seconde fois lors du dernier acte tragique du film.

Plus que tout ce qui peut les animer, c’est bel et bien leur côté enfantin qui rassemble Jeanne et Sophie. Toutes deux révèlent un côté insouciant et enthousiaste, même immature, qui peut se traduire par leur garde-robe essentiellement composée de tenues à carreaux. Cette fausse naïveté et ce manque de remords nous amène par la suite à comprendre que ce qui finit de les unir est leur passé trouble. Sophie a été accusée d’avoir tué son père, Jeanne d’avoir tué sa fille. Aucune des deux ne l’admet, mais aucune des deux ne le nie pour autant.
C’est là toute l’importance de la tragédie. La cérémonie n’est, comme son titre l’indique, rien de plus qu’une grande parade, un opéra déroulé en plusieurs actes. Tous les éléments de la tragédie y sont regroupés. La descente aux enfers des protagonistes, entraînée par la folie meurtrière de Sophie et Jeanne, est inévitable. Très ironiquement, l’opéra Don Giovanni de Mozart que regardent les Lelièvre sur leur télévision, à la toute fin du film, scelle leur destin tragique, comme pour rappeler aux spectateurs que le mal est partout, et dès l’instant où il s’immisce dans l’intimité de ses victimes, il est déjà trop tard.

La Cérémonie de Claude Chabrol dresse un portrait très sombre des relations humaines, nous affirmant que rares voire impossibles sont les échanges compréhensifs entre deux personnes issues de milieux sociaux différents. Le film, mis en scène tel une tragédie grecque, rappelle que c’est le déroulement même de la cérémonie qui importe, et pas son dénouement.



Talia GRYSON

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