Critique du film L'origine du mal

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Par Super Seven

le 11/10/2022

SuperSeven :


LES LIENS DU SANG

Depuis Irréprochable, et plus encore avec L’Heure de la Sortie, Sébastien Marnier a trouvé sa place parmi une nouvelle génération de cinéastes français qui émergent et titillent les codes de ce paysage établi. Avec son troisième film, L’Origine du Mal — qui a ouvert l’Orrizonti du Festival de Venise —, les attentes sont élevées, avec l’espoir – et l’envie – qu’il vienne une nouvelle fois jouer avec les genres malgré un postulat très simple de base.

Il est ici question des retrouvailles d’une fille et de son père qui ne se sont jamais connus, du moins qui n’ont jamais été proches. Elle, ouvrière lambda, et lui, magnat du restaurant et directeur de chaînes, ne viennent pas du même monde, or l’arrivée de la première dans la famille vénale change peu à peu la donne. Marnier s’intéresse à l’exploration des relations — celles entre les personnages, ou bien cette cohabitation de deux milieux ayant peu en commun — en injectant dans le Manoir des Dumontet un soupçon de film noir et de thriller — même psychologique par instants. Il se joue de codes établis, genrés : le twist, le mystère qui s’accumule, les différentes désamorces, et passe le spectateur et ses personnages au moulin afin de toujours ajouter un voile à l’histoire quand le scénario se déplie et s’éclaircit.
Se construit alors un véritable château de cartes, prêt à tomber au moindre petit souffle : rapports de force, ambiguïté, secrets inavouables, ... Tout y passe. D’ailleurs, malgré une confrontation évidente de deux classes sociales totalement différentes, il n’est en aucun cas question d’une morale sur les plus riches et leurs pouvoirs. Marnier est bien plus intéressé par ses personnages nuancés — peu importe sa place dans la société, le personnage n’est pas innocent, renvoyant par la-même à l’adage renoirien qui dit que « tout le monde a ses raisons » — et comment ces rencontres, ces échanges peuvent amener au point de non-retour. Les personnages sont confrontés entre eux mais pas par leur opulence et leur vénalité, malgré un jeu évident sur cet aspect dans les premiers instants des rencontres familiales. Par exemple, le personnage de Dominique Blanc, Louise, montre son aisance et sa richesse (parfois jusqu’au ridicule) mais cela renvoie toujours à une sorte de mécanisme de défense, à un comportement profondément humain.

Sublimement portée par un casting impliqué (dont on ne peut soutirer personne, si ce n’est une Céleste Brunnquell trop discrète), cette famille marche par sa différence : de la froideur de Doria Tillier à l’extravagance de Dominique Blanc, en passant par la figure paternelle de Jacques Weber ou bien la sensualité de Laure Calamy – qui trouve ici l’un de ses meilleurs rôles. Marnier n’est pas en reste. Il s’amuse avec son image, en la découpant avec des split- screens ou en la déformant avec des lentilles anamorphiques. Ce faisant, il appuie le malaise et le mystère, renforcé par les décors. Le manoir est certes imposant mais, surchargé par l’un des personnages ainsi que par une multitude d’objets, il devient bien plus anxiogène. Le format 2:55 utilisé appuie aussi cette idée de gigantisme écrasant – dont souffre aussi Laure Calamy au sein de cette famille haute en couleurs et peu accueillante – tout en offrant des possibilités pour mieux scinder l’image par le montage.
Une étrangeté oppressante que la bande-originale de Pierre Lapointe ne se lasse pas de générer elle-aussi : la plupart des morceaux utilisent une sonorité classique (piano et violon principalement) avant d’y intercaler et mettre en parallèle des sonorités électroniques aussi dérangeantes que splendides. La cerise sur ce gâteau empoisonné est l’ajout habile de bruits naturels (notamment dans son climax, avec des coassements de grenouille), opérant un ultime et malin décalage .

« Pour moi, la famille, c’est ce qu’il y a de pire au monde". C’est comme un poison, que l’on a dans le sang » dit l’un des personnages, et force est de constater que ce poison est ici finement concocté, nous enivrant par le malaise qu’il génère. Si L’origine du mal malmène les conventions cinématographiques françaises, il nous reste à espérer qu’il soit contagieux.


Pierre-Alexandre Barillier

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