Critique du film L'envol

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Par Super Seven

le 14/02/2023

SuperSeven :


Trois ans après sa relecture très libre et inspirée de Martin Eden, le cinéaste italien Pietro Marcello revient avec une nouvelle adaptation, L’envol, d’après Les Voiles Ecarlates d’Alexandre Grine, et nous offre un film indéfinissable, tiraillé entre deux registres.
Raphael revient miné et éteint de la Grande Guerre, dans un village de la Baie de Somme. Il découvre qu’il est père et qu’Adeline, une femme travaillant à la ferme, a recueilli le bébé, une petite fille prénommée Juliette. Rejeté par les habitants du village d’à côté, Raphael trouve du travail auprès de Madame Adeline, en travaillant le bois. Les années passent, Juliette a grandi et est devenue une jeune femme. Instruite, passionnée de littérature et aimant chanter, elle fait la rencontre de Jean (aka Louis Garrel), un séduisant aviateur.

L'envol propose donc deux visions, deux volets distincts, voire même deux moitiés de films. La première s’inscrit comme un récit réaliste. Le ton est sérieux, les habitants du village, Raphael le premier, demeurent meurtris et abimés par la fin de la Guerre, ce qui se ressent sur leurs visages et sur leurs mains. Même le grain de l’image rappelle que leur quotidien est terne, grisâtre, morne. Raphael est victime d’oppression et est ostracisé par les autres villageois. Il est considéré comme un marginal (sans qu’on ne nous précise réellement pourquoi).
Dans un deuxième temps, Juliette est à son tour considérée comme marginale (sans qu’on ne sache non plus quelle est sa particularité) mais, en opposition à son père, sa différence fascine. Elle s’affirme, n'a pas froid aux yeux. Elle est sublimée par une photographie rappelant celle de Martin Eden et convoquant l’atmosphère d’un conte. La princesse Juliette fredonne donc quelques airs, comme dans un film de Jacques Demy, en se baignant dans un ruisseau, ce qui attire Jean, l’aviateur et de fait prince charmant.

Toutefois, Martin Eden, par son parti pris esthétique cohérent – qui rendait hommage au style de l’œuvre d’origine tout en relevant de la fable où les personnages, aussi beaux qu’ils soient, connaissent une chute inévitable –, enchantait sans jamais paraître exagéré. L’envol en revanche se présente comme un film inabouti, avec deux grands chapitres qui nous laissent sur notre faim. Le premier se conclut réellement pendant le deuxième, avec la mort soudaine de Raphael que l’on a d’ailleurs presque oublié, tandis que le second se concentre davantage sur Juliette, sans offrir de chute satisfaisante ; à se demander si Marcello n’aurait pas souhaité une durée plus conséquente.

Abordant diverses thématiques, plus qu’intéressantes, il ne les creuse jamais en profondeur : le rejet de Raphael et des autres personnages vivant autour de la ferme de Madame Adeline par les autres villageois ; l’histoire d’amour entre Juliette et Jean qui évolue trop vite, se termine brutalement mais qui n’est en réalité pas terminée ; l’envie de Juliette de s’enfuir de ce village, et qui, malgré sa forte personnalité, semble plus intéressée à l’idée d’être dans l’attente que dans l’action.

Malgré un casting impressionnant (Louis Garrel dans le rôle de Jean, Noémie Lvovsky dans le rôle d’Adeline, ou encore Yolande Moreau, que l’on aurait souhaité voir un peu plus, dans le rôle de la magicienne de la forêt) ainsi que les performances de Raphael Théry et Juliette Jouan, très convaincants dans leurs rôles respectifs de Raphael et Juliette, les personnages manquent de chair. La faute peut-être aux deux parties radicalement opposées en termes de ton et de mise en scène, entraînant par la même un déséquilibre dans l’évolution de l’histoire et des personnages. On commence par suivre Raphael et, lorsque l’on Juliette prend le relais, ce n’est plus le même film. Un choix qui a du sens si l’on se dit que montrer que ce qu’endure le père d’abord permet à la fille de s’émanciper comme elle l’envisage ; l’image terne de la première partie, synonyme de la fin de la guerre et de l’oppression dont est victime Raphael se démarque de l’imagerie fantasmagorique dans laquelle évolue Juliette.

Ainsi lca recette Pietro Marcello consistant à mêler des images d’archives à des scènes filmées de façon réalistes avec l’aspect du conte de fées a toujours son charme mais semble perdre en efficacité. Si Martin Eden réussissait à nous envelopper grâce à des images presque trop belles et trop soignées contrastant avec le rise and fall du personnage éponyme, L’envol, lui, peine à coordonner ses deux ailes aux mises en scène trop éloignées.


Talia Gryson

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