Critique du film L'Amitié

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Par Super Seven

le 06/05/2023

SuperSeven :


L’amitié, un art du portrait

Dans L’amitié, Alain Cavalier poursuit son art du portrait au cinéma, genre qu’il a presque inventé avec ses 24 portraits de femmes au travail sorti en 1987 et qu’il n’a cessé de poursuivre depuis (Vies en 2000, Les Braves en 2007, etc). Alain Cavalier, filmeur devenu portraitiste après le tournage de Thérèse en 1986, retraçant la vie de Thérèse de Lisieux, qu’il indique avoir vécu comme une expérience intense, quasi-mystique durant laquelle il a observé la transformation invraisemblable de l’actrice Catherine Mouchet. Il ne retournera ensuite plus jamais avec des acteurs de cinéma professionnels (sauf exception avec Vincent Lindon dans Pater en 2011) tant le travail possible avec eux semblent accomplis par Thérèse. Un geste cinématographique traverse toutefois son passage de ce film aux portraits, c’est l’attention portée au visage de l’autre, souvent filmé en gros plan. L’amitié c’est bien trois visages, celui de Boris Bergman, de Maurice Bernart et de Thierry Labelle. Trois amis qu’il filme chez eux, de façon indépendante, au gré de leur rencontre.

Le premier était le parolier de Bashung avec qui il avait eu un projet de film par le passé. C’est un artiste qui nous reçoit chez lui dans un certain désordre, semblable à un atelier. Le deuxième est un ancien producteur de cinéma, notamment celui de Thérèse, nous accueillant dans son appartement situé proche du Panthéon et dans son domaine à la campagne ; le décor est celui d’un intellectuel aristocrate, entre meubles élégants et éditions originales. Le dernier est un coursier, déjà présent dans Libera me (1993), à la maison dont le style est davantage commun à la classe moyenne. Alain Cavalier donne la sensation de passer par le petit trou de la serrure et d’observer qui vit dans ces habitations devant lesquelles nous passons tous les jours en nous imaginant qui peut bien y vivre. Il ne filme pas pour autant pour assouvir une curiosité mal placée mais revient à une conception primaire du cinéma en tant qu’instance d’enregistrement : filmer ceux que l’on aime pour en garder une trace.

Il réunit indifféremment une diversité de milieux sociaux assez contrastés montrant que l’amitié sait outrepasser des frontières. Ce qui leur est seulement commun est la participation effective ou ratée à l’un de ses projets, qui semble avoir toujours été le vecteur de l’amitié entre lui et celui qu’il filme. Il révèle ainsi le cinéma comme un espace de rencontres et d’échanges durables. La caméra tisse de vraies relations. En témoigne également son « générique » de début et de fin réalisé à la main, lu avec sa voix révélant à quel point il s’engage ici, tenant à présenter humainement ses amis et collaborateurs. Les trois portraits apparaissent comme des moments de partage de leur vie quotidienne mais aussi de remémoration de souvenirs mutuels. Plus que des portraits individuels, ils muent progressivement en portraits de couple, au sein desquels une seule même question revient : comment vous-êtes-vous rencontrés ? Ce qui intéresse le documentariste est encore une fois les liens qui unissent et animent les Hommes.

Son lien personnel avec ces sujets s’exprime, grâce son caméscope portable à la main, par un recours récurrent au cadrage très proche des éléments de l’environnement dans lequel il se situe, proche du visage de l’autre, des différentes parties de leur corps et notamment des mains. Chez Cavalier, peu de plans d’ensemble pour permettre de saisir une scène dans sa globalité et donc de nous détacher de la personne en face, il s’agit de forcer le spectateur à être près des yeux pour être près du cœur.

Outre la diversité des personnalités que le documentaire nous permet de rencontrer, ce qui est touchant, finalement, est l’émerveillement non dissimulé du réalisateur derrière sa caméra face à certains plans, à la lumière qui rayonne dans la pièce, à des compositions non agencées d’avance et qui semblent être des cadeaux du ciel. Soudainement, la lumière tombe bien sur un visage et la caméra parvient à capter ce moment esthétiquement unique qui ne se reproduira plus. Toute la candeur d’un cinéaste qui sait encore se laisser surprendre par ce qu’il voit dans l’objectif après soixante ans de carrière, et qui sait transmettre ce charme du hasard et de l’ordinaire.


Léa Robinet

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