Critique du film Justice League - Snyder Cut

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Par Super Seven

le 16/04/2021

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Avant d’être un long-métrage, "Justice League" c’est un contexte qui se doit d’être cerné pour comprendre son propos. Superman avait le vent en poupe. Si tout le monde se souvient de la trilogie de Christopher Nolan centré sur Batman (2005, 2008, 2012) ou encore du "Joker" (2019) de Todd Philips, c’est bien parce que ces derniers se détachent du « DC Universe » pâle copie du « Marvel Cinematic Universe ». Dans la volonté d’appartenir à un univers propre au créateur et non de voir au-delà de son œuvre pour imaginer de potentiels croisements entre les prochains films, les longs-métrages sus-cités tenaient à rester « fermés ». Zack Snyder, lui, a tenté «l’impossible». Après s’en être admirablement sorti en 2009 avec le culte "Watchmen Les Gardiens", une voie royale s’est logiquement ouverte au réalisateur pour traiter le cas « Clark Kent ». Ainsi, en 2013 c’est « Man of Steel » qui a vu le jour, premier-né du « DC Universe ». Les critiques sont mitigées mais ne vont pas de pair avec les recettes qui s’avèrent florissantes. Warner Bros. saute alors sur l’occasion d’avoir enfin droit à son « Universe » à l’instar de Marvel. Mais le cinéaste de 300, ne souhaitait pas servir à ses spectateurs du fast-food, son rêve relevait plutôt d’une envie de créer un « Snyder Verse », plus sombre et proche de l’esprit d’un « film de super-héros indépendant ». En 2016 sort "Batman V Superman" (BVS) et cette fois-ci les désirs du réalisateur se font enfin ressentir. Là où "Man of Steel" n’était qu’un échauffement, l’œuvre narrant l’affrontement entre la chauve-souris et l’homme d’acier dévoile toute la maîtrise du réalisateur, certes toujours aussi critiqué pour son scénario mais plus pour ses idées. Loin du kitsch et de l’accessibilité d’un blockbuster conventionnel de superhéros, le long-métrage se veut volontairement complexe, esthétique et différent.

Lorsque le développement de "Justice League" a été annoncé, une création en apothéose devant réunir à l’écran les têtes d’affiches de DC, les fans se sont emballés à l’idée de retrouver une fois encore la plume de Snyder. Cependant, un drame familial empêche le réalisateur de poursuivre son travail et c’est Joss Whedon qui est chargé de reprendre les reines. Un choix étonnant quand on sait qu’il a une vision diamétralement opposée à celle de Snyder. Le nouveau chef d’orchestre, à qui l’on doit les deux premiers volets des Avengers, change le ton, le rythme, injecte blagues et légèreté – non sans maladresse –, comme pour se rapprocher d’une patte qu’il connaît, celle de Marvel. Or, cette dernière est tout bonnement incompatible avec celle de DC, qui se veut plus mature, dépeignant par habitude une fresque de héros tous plus dépressifs les uns que les autres; le rire s’apparentant plutôt au mal, l’ombre d’un certain Joker flottant sur Gotham City.

"Justice League" (2017) est un désastre, bafoue toutes les promesses de BVS et ridiculise au passage l’ensemble de ses protagonistes. Divertissant certes mais la sensation d’amertume qui reste en bouche après son visionnage s’apparente plus à une trahison. Fortement critiqué pour ses effets spéciaux, entre autres, et son trailer-style, il est tombé dans l’oubli à peine sorti. Il aura fallu attendre quatre années pour que la director’s cut tant attendue de Zack Snyder, surnommée « Snyder Cut » voit le jour.
Mais peut-on faire des miracles avec un tel héritage ?

Dès les premières séquences, la réponse semble aller vers le oui. L’ambiance est nourrie d’une scène quasiment indigeste où l’on assiste à l’ultime cri de Superman, sacrifiant sa vie pour sauver l’humanité. Snyder se sert de la mort d’un symbole et de « l’onde de choc » provoquée qui se répand sur la Terre pour présenter chaque décor au spectateur. Bien que l’on eût souhaité oublier le précédent montage, on s’amuse à noter les sept différences avec celui-ci au fil des scènes, même si l’exercice s’avère compliqué tant ils diffèrent. Après avoir passé quatre heures devant son écran, seuls les plans forts de la précédente version ne semblent pas avoir été charcutés. Les 14’520 secondes que composent le film sont toutes passées sous l’œil aiguisé du réalisateur, repensées intégralement pour correspondre à ses idéaux – et celles des comics par procuration –. Zack Snyder semble se poser comme le porte étendard de la pensée des héros DC, le garant de la vision des bandes-dessinées en leur honneur, quitte à s’attirer la colère des critiques ; la morale de Batman qui l’emporte sur la satisfaction du fan par exemple.

Sa démarche développe tellement le scénario initial que l’on en vient à considérer le film de 2017 comme une version fan-made parodique dans laquelle la plupart des gags tombent à l’eau. Les « trouvailles » et autres ajouts de Whedon sont ici sacrifiés au détriment d’un sourire sur nos lèvres. Seul Flash garde sa dérision, un choix logique et cohérent qui fait mouche auprès des fans (peut-être moins auprès de Cyborg).

Ben Affleck, qui incarne un Bruce Wayne toujours aussi convainquant, ne porte plus la responsabilité de rattraper les pots cassés. La ligue des justiciers n’est plus un tas de muscles ambulants mais un assemblage de personnalités diverses. La critique majeure de "Justice League" (2017) soulignait son incapacité à narrer les trames de ses héros avec parité. La Snyder Cut tient à effacer ce défaut en plongeant son spectateur plus intimement dans la vie de Flash et Cyborg, malheureux perdants la fois précédente. Si le soin apporté aux deux personnages amène à une meilleure compréhension de leur motivation, ces précisions font pencher le temps d’écran en leur faveur. Snyder considère "Man of Stee"l, "Batman V Superman" et la Snyder Cut comme un ensemble. En s’attardant sur Clark Kent dans le premier film, Bruce Wayne dans le second, Victor Stone et Barry Allen dans le dernier, chaque membre a son instant de gloire. Mais ce n’est pourtant pas le cas de tous. À vouloir trop rééquilibrer, on en oublie d’autres ; "Wonder Woman" (Patty Jenkins, 2017) et "Aquaman" (James Wan, 2018) ont déjà eu droit à leurs propres adaptations, et Snyder sous-entend que ces films appartiennent à son univers. Un choix qui s’il est cohérent avec le point de vue DC, ne l’est pas avec l’esprit de Zack Snyder. Ces œuvres font-elles partie intégrante de son « triptyque » ? Même si elles détonnent de sa vision et ce, malgré son influence ? C’est là tout le problème d’un « Universe »: l’accord d’artistes aux volontés éclectiques de s’unir pour former un tout. Si l’idée fonctionnera toujours pour Marvel car ces derniers suivent la même ligne éditoriale, pour DC et l’esprit alambiqué d’un Zack Snyder, la fantaisie d’un James Wan et les émotions d’une Patty Jenkins, la sauce prend difficilement tant les styles ne s’emboîtent pas les uns avec les autres.

Si la Snyder Cut mêle habilement cela, il faut reconnaître que la scène d’ouverture de Wonder Woman (pour ne citer qu’elle) et son côté épique (grâce notamment à l’unique thème musical marquant de l’œuvre, signée Hans Zimmer et Junkie XL) sortent un peu du contexte de la Justice League 2.0 par son côté m’as-tu-vu, pourtant fidèle aux penchants kitsch de Snyder, même si éloigné du concept de ce film en particulier. De manière générale, si l’on déplorait la scène finale de BVS pour sa grossièreté plus qu’éloignée de l’ambiance terne du Snyder Verse, on salue cette nouvelle version pour réussir à maintenir une certaine sobriété. En optant pour une colorimétrie sombre et un format 4/3 amélioré, le montage trouve dans ces idées une homogénéité bienvenue. L’étalonnage impressionnant qu’a subi le film sort de l’éclairage conventionnel de Whedon pour en rejoindre un plus cinématographique, l’œuvre se jouant du naturel à travers un travail des lumières modeste et plus sombre. Ainsi, l’impression générale de voir les protagonistes exposés sous spot en permanence se voit disparaître au profit d’une ambiance soignée, semblant plus raccord avec le voile de brume inquiétant qui couvre le long-métrage. La présence du fond vert se fait également moins ressentir, ce qui gomme efficacement l’effet live-action tant présent dans la première version. Les VFX ont tous été peaufinés, allant de la moindre étincelle aux costumes pour un résultat plus convaincant. Des efforts qui peuvent d’ailleurs enfin s’apprécier, le montage favorisant des scènes à rallonge pour le plaisir de la rétine. Le découpage, plus fluide, laisse les séquences respirer entre elles, notamment sur les scènes d’action qui se dotent d’une clarté qui manquait à "Justice League" (2017). La maîtrise de Snyder apporte de la lisibilité à une scène d’action qui compte cinq points de vue différents. La bataille finale laisse d’ailleurs l’abondance de flammes inutiles de côté pour trouver une architecture plus sobre et nettement plus agréable à l’œil. Steppenwolf, lui, est enfin crédible grâce à de nombreux ajouts scénaristiques, simplifiant au passage sa quête et celle de Darkseid, bien que l’on regrette justement le côté schématique de leur plan rappelant à bien des égards celui des pierres d’infinité des derniers chapitres des Avengers.

Mais là où le scénario s’égare, c’est dans son épilogue qui semble posé comme un bonus pour les groupies. Alors que BVS manie avec brio ses interludes entre séquences abracadabrantes et pépites de mise en scène dans une timeline parallèle au scénario, dans la Snyder Cut l’on donne du fourrage aux cochons. En ratant le coche de terminer à merveille son œuvre à trois reprises, le long-métrage en ajoute une couche à chaque fois en injectant durant une vingtaine de minutes des références à foison qui gagneraient à être disséminées au sein même du film et non dans des scènes coupées et greffées avant le générique. On pense au Joker de Jared Leto qui tombe de nulle part dans une séquence désespérante, hors-sujet et navrante par le jeu de l’acteur, totalement hors du rôle et à la recherche éperdue de reconnaissance.

Si Zack Snyder démontre sa maîtrise du sujet à bien des niveaux, il révèle aussi sa volonté d’en faire trop pour nourrir ses fans. La Justice League de Whedon n’est plus qu’un mauvais souvenir, et même si l’on regrette la finalité du scénario, extrêmement simpliste et trop engagée pour une suite, on ne peut que saluer le travail colossal du (re)montage d’une œuvre qui gâchait l’enthousiasme ressenti au visionnage de BVS.

Aujourd’hui, Zack Snyder’s Justice League provoque un véritable boom médiatique et le hashtag #RestoreTheSnyderVerse pollue la toile depuis la sortie du film. Visiblement l’œuvre plaît à la masse et Warner Bros. a – on l’espère – reçu le message: « Marvel n’est pas d’ici ».



Léo Augusto Jim Luterbacher

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