Critique du film Juste la fin du monde

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Par Super Seven

le 02/04/2021

SuperSeven :

« Je suis venu te dire que je m’en vais, » Gainsbourg en a fait une chanson, Dolan un film. Un défi pourtant peu évident à relever. Reprenant l’œuvre de Lagarce, le génie canadien ne lésine pas sur les moyens et choisit, pour ce quasi huis-clos, un casting de taille : Gaspard Ulliel, Léa Seydoux, Vincent Cassel, Marion Cotillard ou encore Nathalie Baye.
On a là l’histoire d'un homme, dont on ignore quasi tout, qui revient voir sa famille après douze ans d’absence pour leur annoncer sa mort prochaine. L’idée peut paraître assez classique de prime abord. Cependant, il ne faut pas douter du talent de Xavier Dolan. Son œil derrière la caméra, d’une précision chirurgicale, et sa sensibilité dans la direction des acteurs sont à l’origine de l’un des plus beaux films de sa carrière. Louis est un homme tourmenté, artiste dans l’âme, contraint de quitter sa famille – qui ne partage pas sa passion – pour renaître. Il mène ainsi sa vie loin des siens, dans un monde d’art et de réussite au détriment de tout échange avec eux. Seules quelques lettres banales, à l’occasion d’évènements formels (anniversaire, Noël), le relient à son ancienne vie.

Le récit commence par son arrivée qui suscite joie des retrouvailles pour sa mère et sa soeur, interprétées respectivement par Nathalie Baye et Léa Seydoux, contre l'incompréhension de son frère (Vincent Cassel). Celui-ci est désormais marié à Catherine (Marion Cotillard), que Louis rencontre pour la première fois. On peut ici parler d’un coup de foudre, non pas amoureux mais émotionnel et humain, marqué par ce sentiment qu’une personne vous comprend, avec un simple regard, sans avoir recours au moindre mot. La beauté réside principalement dans les silences, les non-dits. Comment le dire ? A tous ou un par un ? Au repas ou dans l’après midi ? On est face à la difficulté d'annoncer un événement pareil, après tant d’années loin du microcosme familial. Les questions qui fusent ne sont pas les bonnes selon Louis, et ce dernier se retrouve assailli plutôt par des demandes conventionnelles, incapable d’établir ce lien personnel qui s’est brisé avec son absence.
Au fil de la narration, on est frappé par l’écart entre le protagoniste et sa propre famille. On découvre au début des membres qui ne se connaissent pas, qui échangent des banalités, avant d’être développés et de nous révéler une certaine profondeur. Dans un rôle de mère au foyer, tentant de joindre les deux bouts à la mort de son mari, d’élever ses enfants dans de bonnes conditions tout en étant confrontée aux dures réalité de la vie, avec un caractère spécial et une pointe d’égoïsme, Nathalie Baye incarne la matriarche « dolanienne » par excellence.

Avec elle, une soeur paumée, qui se cherche à travers son frère qu’elle n’a jamais vraiment connu, incarnée par Léa Seydoux qui est très juste dans ce rôle. Elle interprète l’incompréhension mais aussi l’espoir de bâtir un avenir meilleur, ponctué des repères dont elle n’a jamais bénéficié. Vient aussi Antoine, un frère rempli d’amertume, préférant fuir et se renfermer sur lui-même que de s’ouvrir à une relation fraternelle qui le fait souffrir. Vincent Cassel navigue à travers un personnage à la fois cynique, égoïste et violent, démontrant une belle palette d'émotions. Au milieu de tout ça on retrouve Catherine, un peu perdue, sans réel avis sur les questions redondantes des repas de famille. Marion Cotillard incarne un rôle compliqué, jamais réellement comprise par les autres personnages, et c’est pourtant elle qui, dans un plan magnifique où elle se contente de regarder Louis, comprend tout.
Louis apprend donc à (re)connaitre sa famille l’espace d’une journée. Xavier Dolan, en plus d’une technique à couper le souffle, excelle dans les relations familiales. Les dialogues sont travaillés, on en apprend tout au long de cette journée sur tous les personnages, leur comportement, leur ressenti, leurs appréhensions… Les moments de silences sont d’une rare beauté. La photographie, souvent mise en avant par les reflets du soleil et couplée à un léger ralenti, propulse les plans dans des moments d’émotion et de compréhension des protagonistes.
Le réalisateur n’a aucune difficulté à mettre en scène une famille déchirée et remplie de questions. Il n’hésite pas à couper le film par de légers flashbacks, révélant des instants de la vie antérieure du protagoniste, le tout sur une musique parfaitement choisie, parfois même inattendue comme pour la séquence sur Ozone qui s’avère d’une rare poésie et d’une maitrise véritable.


Le film évolue en crescendo et la tension est de plus en plus palpable, jusqu’à la scène finale… Avec un rythme insoutenable, Louis prononce ces mots « je m’en vais, » qui suscitent chez ses interlocuteurs une incompréhension totale. Antoine lui propose de le ramener à l’aéroport pour ne pas manquer son avion, la famille est déchirée. Encore une séparation douloureuse, jusqu’à quand ? Pour toujours, et cette fois-ci ils le savent.

La scène est d’une violence psychologique certaine, contrebalancée par une douceur visuelle déroutante. Le mélange de mots, de musique, et de ce que l’on voit à l’écran laisse sans voix. Louis, bousculé par son frère, ouvre la porte, remet sa casquette, et s’apprête à partir pour ne plus jamais revenir. La lumière venue de l’extérieur installe un sentiment pesant et vient imager cette fin tragique.
Juste la fin du monde, c’est un condensé de la patte de Dolan, particulièrement sa touche visuelle. Le film est beau, même très beau, et couplé à cette histoire aussi touchante que tragique, on obtient ce qui est peut-être le meilleur film signé par ce réalisateur si talentueux.


Corentin Christiaen

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