Critique du film Julie (en 12 chapitres)

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Par Super Seven

le 13/10/2021

SuperSeven :


Conclusion de la non-officielle puis officielle Trilogie Oslo de Joachim Trier, Julie (en 12 chapitres)The Worst Person in The World en anglais –, fut l’un des événements marquants du 74ème Festival de Cannes, où son actrice principale, Renate Reinsve, a remporté le Prix d’Interprétation Féminine des mains du jury de Spike Lee.

Mais pour pouvoir parler de Julie, il est important de l’inscrire dans le triptyque adopté par Joachim Trier, aux côtés de Nouvelle Donne et Oslo, 31 août qui complètent son travail sur la capitale norvégienne. Trois films qui n’ont, d’apparence, en commun les seules présences d’Anders Danielsen Lie, interprète principal des 3 films, Eskil Vogt, coscénariste et Joachim Trier, autre scénariste et réalisateur, mais qui partagent en réalité beaucoup plus d’affinités et de thématiques.

« Les trois films n’ont, bien sûr, jamais été pensé pour appartenir à une trilogie à la base, dit Joachim Trier. Néanmoins, lorsque l’on a commencé à travailler sur Julie, Eskil et moi avons tout de suite vu les similitudes que ce film pouvait avoir avec Oslo, 31 août, à qui il emprunte le plus, mais également à Nouvelle Donne […] ». Car effectivement, Julie peut être vu comme la jonction de ces deux précédents projets, le résultat que l’on obtiendrait si on les mixait. Ce portrait de femme se veut réaliste et moderne, avec un personnage principal (Julie, surprise!) qui est pris de doutes sur sa vie, à l’entrée dans la trentaine.

Trop jeune pour être adulte mais trop vieille pour être jeune adulte, elle erre pour trouver sa place dans la société, pour trouver son but. Apparaît le lien avec Nouvelle Donne, qui traitait de la relation de deux écrivains dans la vingtaine – ce qui donne une facette différente à ce récit –, tentant également de s’accomplir, mais aussi celui avec Oslo, 31 août, résidant dans le caractère erratique. Ce dernier adopte le point de vue d’Anders (nom du personnage et de l’interprète) à travers son voyage d’une journée dans Oslo. Il retombe dans ses anciens vices et rencontre des personnes importantes (ou non pour lui), un parcours similaire à celui de l’héroïne du nouvel opus.

Son point de vue – celui de Julie – s’adapte dans le récit et la mise en scène, ancrée dans un réalisme déroutant, auquel il est facile de s’identifier. Pour autant, par le point de vue de Julie, certaines incursions dans le fantastique – auquel Trier s’était déjà frotté avec son quatrième long métrage Thelma, de même que son scénariste Eskil Vogt avec son second long-métrage, The Innocents – sont possibles ; celles-ci dénotent par leur dimension hallucinatoire, et apportent une profondeur émotionnelle et métaphorique importante. Ressort un tour de force narratif, par un jeu constant sur les contradictions, dans le style avec le réel face à l’imaginaire, mais dans l’écriture avec les questionnements personnels et autres paradoxes de Julie. Des questionnements d’ailleurs partagés par une voix-off, qui n’est pas celle de la protagoniste. Sorte de voix intérieure, on peut y voir une résonnance avec un dialogue de Renate Reinsve qui déclare : « J’ai l’impression d’être la spectatrice de ma vie », qui fait aussi écho à la structure ; plutôt que de montrer la vie de Julie, seuls douze chapitres (plus un prologue et épilogue) nous en sont révélés.

Ces contradictions influent aussi sur le ton qui est sarcastique. Le titre original renvoie déjà l’idée puisque, bien sûr, Julie n’est pas « The Worst Person in The World », ce n’est que le reflet de son sentiment. Ce travail d’ambiance masque la sincérité insidieuse qui sous-tend le récit. Ce sarcasme est ainsi à double tranchant : il libère l’audience avec son humour, peu gratuit et souvent réussi, mais il est aussi la principale source d’émotion du film. L’approche dichotomique tient jusqu’à la technique de filmage, avec une utilisation de la pellicule qui finit par basculer dans le numérique pour offrir une mise en abyme touchante sur le personnage de Julie.

Pour finir sur une évidence, Renate Reinsve est magistrale dans le rôle titre, tenant le film sur ses épaules, mais elle est bien accompagnée avec Herbert Nordrum, un très bon side-kick, et surtout Anders Danielsen Lie ; il est à l’image du film, sarcastique mais également dévastateur. Julie (en 12 chapitres) s’inscrit comme un incontournable de cette année – si ce n’est de la décennie, qui sait ? –, tant il parle de la vie, de la femme et de l’Homme dans toute sa modernité et ses qualités comme ses défauts, avec une sincérité rarement atteinte. Un récit sur l’importance d’aller vers son futur, de voir ce que l’on devient, sans jamais se soucier de son passé jusqu’à ce qu’il nous rattrape quand il est trop tard. Bref, c’est la vie…


Pierre-Alexandre Barillier

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