Par Super Seven
SuperSeven :
C’est d’un pas hésitant que Joe Bonham prend place dans le train, pourtant sous les couleurs américaines et accompagné d’une musique assurément patriotique. Sa direction ? La guerre, l’horreur donc, à laquelle s’opposent l’engagement, le devoir et les risques. Voilà ce qui rythme Johnny got his gun, alternant les images d’un passé gai et romanesque, haut en couleur à l’image des premières scènes si romantiques, presque lyriques, avec Kareen, et celles d’un présent mortuaire, cataclysmique. C’est de ce constant dialogue – l’innocence avec l’abjection, l’amour avec la mort –, tout en dialectique, qu’émerge progressivement le portrait complexe de Joe, incarnant une certaine douceur là où tout n’est que terreur.
Ce dernier subit toutefois un grave accident, le contraignant à finir sur un lit d'hôpital gardé secret. Ces séquences d’hospitalisation sont rythmées par une narration elliptique, révélant une dislocation corps-esprit : l’esprit s’exprime mais le corps reste sans vie, inerte – un certain temps du moins. On ne voit que ses cheveux, son front, mais sa voix est bien là, comme externe, en off, au point de se demander si l’on ne touche pas ici à l’omniscience narrative. Est-ce un rêve ? se demande-t-on au même titre que le blessé. L’horreur est trop paroxystique pour qu’elle soit tangible ; paradoxalement elle est invisible, cachée derrière un masque et des bandages. Ne demeure que la voix, seule témoin, unique interprète des blessures. Il semble n’y avoir aucun espoir, rien ; ce n’est que lorsque le Soleil entre divinement dans sa chambre que l’on devine Joe souriant, empreint d’une certaine gaieté, sans que l’on n’en voit les traits. Une nouvelle dynamique dialectique se tisse, par son enjouement désormais audible qui contraste avec le défaitisme mélancolique du personnel soignant. Face à ses maux, les mots ont une importance capitale, entre les sentences médicales et les échappatoires de Joe. Ce dernier se confie, se livre avec confiance, pour rappeler qu’il existe toujours une âme sous tous ces bandages.
L’espoir apparaît aussi grâce à la nouvelle infirmière qui prend soin de Joe en le considérant comme un véritable humain et non comme un animal en cage. Dalton Trumbo contrecarre alors le processus de déshumanisation à l'œuvre en temps de guerre selon lequel les soldats, qu’ils soient en vie, morts ou blessés, ne sont que des chiffres. Par son statut et son état physique, Joe n’est qu’un simple objet dans une lingerie, caché aux yeux de tous. Il se définit d’ailleurs comme n’étant qu’un simple « morceau de viande qui parle en morse », souhaitant être exposé au monde tel un « phénomène dans les foires ». Pourtant, un simple « Merry Christmas » suffit à lui redonner joie. Johnny got his gun vogue ainsi sans cesse entre espoir et désespoir jusqu’à ce que Joe réclame sa propre exécution et qu’il finisse sur des appels au secours, comme une longue plainte, hommage à toutes les victimes de la Première Guerre mondiale.
Erwan Mas