Critique du film Jeanne et le garçon formidable

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Par Super Seven

le 12/06/2023

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Son début réunit tous les ingrédients du parfait film d'été : une comédie musicale, de la légèreté, une soif de romance, de jolies femmes et de beaux hommes ; puis une rupture de ton, qui mène doucement vers la mélancolie. Ce serait un euphémisme de dire que Jeanne et le garçon formidable nous fait passer par toutes les émotions. Pourtant, chacune se déploie avec une certaine retenue, toujours contrebalancée par un sentiment opposé, ou plutôt complémentaire. Le résultat n’est donc pas totalement un drame, puisque l’on ne se sent pas terrassé par les éléments tragiques, pas totalement une comédie non plus, puisque les sourires prennent rapidement un goût amer, ni totalement une romance puisqu’au-delà de l’union entre Jeanne et ce fameux garçon formidable, le titre révèle surtout leur existence indépendamment l’un de l’autre. Malgré la difficulté de gérer cet entremêlement de tons, Olivier Ducastel et Jacques Martineau trouvent un équilibre à la maladresse profondément touchante.

Jeanne c’est une fille libre, joyeuse et indépendante, à l’avant-garde des héroïnes téméraires qui rencontrent tant de succès à l’écran - Julie (Julie en 12 chapitres) ou Anaïs (Les amours d’Anaïs) pour ne citer qu'elles. Tout est réuni pour voir Virginie Ledoyen rayonner, comme si la caméra suivait ses pas. Elle ne se pose pas de questions, se définit au présent et les cadrages sont d’ailleurs souvent composés de manière à ce qu’elle n’apparaisse comme seul sujet, jouant sur le hors champ avec ses interlocuteurs ou bien des miroirs qui la reflètent en plusieurs fois.
Bien sûr, cette figure ne date pas d’hier et il serait impensable de parler de l’oeuvre sans citer son inspiration — totalement revendiquée — du côté de Jacques Demy. Des paroles des chansons faisant directement écho à celles de Jacquot, à certains pas de danse, en passant bien évidemment par le choix de Mathieu Demy — fils de Jacques et Agnès Varda — comme premier rôle masculin, Jeanne et le garçon formidable crie son amour au réalisateur emblématique des comédies musicales françaises.
Plutôt démodé à la sortie du film (1998), le genre est d’ailleurs remis au goût du jour avec des éléments bien plus modernes que ses prédécesseurs. Le naturel des dialogues semble trouver toute sa logique lorsqu’ils deviennent paroles, et les imperfections de voix de certains acteurs (on pense à cette scène hilarante avec Denis Podalydès) contrastent avec les chants d’ordinaire quasi opératiques. Les rythmes des musiques sont très variés, et offrent un joli patchwork plein d’énergie et de douceur pour accompagner les ruptures de ton évoquées.

La tournure dramatique est-elle aussi reflet des préoccupations de son temps. Jeanne est parfois mise de côté pour élargir la portée du film à une tout autre réalité sociale que les innocents badinages dans lesquels elle s'inscrit. En effet, la question du SIDA et des actions militantes pour les concernés est centrale, sans pour autant sombrer dans le pathos (ce qu’on peut reprocher à la figure de proue actuelle du cinéma LGBT militant, 120 battements par minute). Lorsqu’Olivier dévoile sa séropositivité à Jeanne, il le fait en chantant, de manière totalement décomplexée, et cela n’impacte aucunement leur relation dans un premier temps. Une nouvelle fois, en prenant garde à ne pas s’attacher trop aux misères vécues par un seul personnage, Ducastel et Martineau parviennent à faire de la place à des réflexions bien plus poussées sur la fin de vie, la place des libertés individuelles dans un couple et les solutions pour soutenir quelqu’un qui refuse de l’aide. Cela ne rend pas pour autant le sort des deux protagonistes moins triste, mais comme Jeanne on tombe, on se relève et on avance.


Pauline Jannon

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