Critique du film Irréversible - Inversion intégrale

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Par Super Seven

le 01/09/2020

Irréversible Inversion Intégrale : le temps retrouvé.


2002. Une séance à Cannes fait sensation, avec une grande partie du public quittant la salle en plein milieu du film, horrifiée. La raison ? Irréversible, le second long-métrage de Gaspar Noé, roi de la provoc’ et empereur du chaos, qui montre non chronologiquement l’histoire d’un viol d’une femme enceinte et les conséquences à court terme d’un tel événement.
2020. Carlotta Films annonce l’existence d’un nouveau montage, cette fois-ci linéaire, par l’auteur, donnant une toute autre lecture, et saveur au récit. Il s’agit pourtant d’un tout autre film, invoquant des émotions différentes, et plus sombre que la version originale.

Quand la 7ème Symphonie de Beethoven démarre tandis que l’on contemple Alex (Monica Bellucci) dans ce parc parisien, entourée d’enfants jouant autour d’un tourniquet, l’innocence est omniprésente malgré la musique véhiculant un certain fatum. L’inversion intégrale ressemble bien plus aux films de Noé que celle originale d’un point de vue narrative. Il y montre progressivement l’effondrement d’un microcosme idéal, de valeurs, d’âmes avec au cœur un événement marquant, à l’instar de Climax par exemple. Pour faire simple, on a là une véritable descente aux enfers. Pierre (Albert Dupontel), Marcus (Vincent Cassel) et Alex deviennent de vrais protagonistes, que l’on apprend à découvrir, auxquels on s’attache même.

Toute l’introduction du couple Bellucci-Cassel est un pur moment de bonheur, comme hors du temps. Ce fameux temps d’ailleurs. Celui qui révèle tout, celui qui détruit tout. Le fait que ce long plan-séquence se situe au début du film, crée un sentiment de confort. Noé en l’espace de deux scènes constitue son Eden, son jardin des délices, où seuls comptent l’amour, le plaisir et le sexe.

L’irréversibilité de l’ensemble, pour qui a déjà vu la version originale, prend une autre tournure ici. Le poster de 2001 au-dessus du lit, comme le test de grossesse positif, ont un goût amer et l’inéluctabilité dramatique nous envahit malgré la joie environnante et les séquences qui suivent ne faisant que retarder une échéance qui nous effraie. Ce qui frappe également, c’est la virtuosité de la mise-en-scène et son évolution à travers le récit. Passant d’un steady cam léché et harmonieux à de la folie pure, comme si la caméra elle-même était peu à peu possédée par la rage qui anime Marcus.

La frénésie qui ronge l’âme des personnages, en fait ressortir la noirceur suite au viol, toujours aussi difficile à supporter, nous transcende et nous emporte dans les tréfonds de l’humanité. La conclusion, et l’ironie dramatique qui l’accompagne dans l’excès de violence de Pierre, ne sont alors qu’un coup de massue supplémentaire asséné par Noé avant l’ultime apparition qui nous achève, celle de Philippe Nahon. Là où il introduisait le film il y a dix-huit ans, créant un lien avec Seul contre tous et lançant les hostilités nihilistes sur les chapeaux de roue, son passage est ici bien plus douloureux. Intervenant après la bataille, après la dégradation de la psyché des personnages et l’agression rétinienne que l’on a subi, il annihile toute teinte d’espoir et nous fait nous sentir mal, à se demander si la vie vaut la peine d’être vécue.

En moins d’une heure trente, Noé éradique toute beauté du monde, toute joie. Il révèle au spectateur le pire qui sommeille en lui, et qui n’attend qu’un moment opportun pour se réveiller. Montrant que même l’homme le plus raisonnable peut finir par succomber, et que l’injustice existe, il dresse avec cette inversion chronologique le portrait d’une société rongée, en proie au chaos. Irréversible avait peut-être une puissance traumatique indéniable, en plus d’être un bon film. Ce nouveau montage est quant à lui plus insidieux, plus destructeur, et donc peut-être même plus fort.

Elie Bartin

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