Critique du film Il reste encore demain

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Par Super Seven

le 23/03/2024

SuperSeven :


C’est une porte ouverte sur l’avenir qu'annonce le titre, Il reste encore demain, pour un film apportant de belles promesses pour le futur de l’industrie transalpine. Le premier long-métrage de Paola Cortellesi a rassemblé plus de 5 millions de spectateurs en Italie l'an dernier, le plaçant devant les super productions américaines — Barbie, Mario ou Oppenheimer —, une première pour un film local depuis bien des années. Promesses pour le futur donc, mais à travers une œuvre se repliant constamment sur le passé avec une recette qui conjugue difficilement le néoréalisme à une forme de comédie dramatique 80s. Un film « vintage » qui arbore fièrement son noir et blanc et désire se coincer dans un petit coin du temps : les toutes premières années de l’après Seconde Guerre mondiale. C’est dans cette Rome mutilée que se déroule l’intrigue où une femme au foyer, jouée par Paola Cortellesi elle-même, vit dans la pauvreté avec un mari violent et doit préparer le mariage de sa fille unique avec une riche famille. Le poids du patriarcat, sujet assez — et encore — universel et intemporel, s'insère ici lourdement dans un espace-temps précis, le rêve d’un ailleurs qui serait meilleur que le présent. On y retrouve la fascination, très après-guerre, pour les États-Unis, avec ce soldat américain, proto-personnage magique et parfait, exotique par son accent et la couleur noire de sa peau, qui distribue les bonbons aux enfants et règle les problèmes des italiens arriérés.

Il reste encore demain déploie en réalité un programme aussi consternant que déroutant : sommes-nous devant un film pour ravir les adolescentes de 14 ans ou pour réconforter "la ménagère de 50 ans" ? Il semble que Cortellesi veuille faire se rejoindre ces deux bouts, usant de la nostalgie pathétique de la vieillesse pour générer une deuxième jeunesse ; le G.I. sexy d’Outre-Atlantique d'une part et l’amour d'antan de l'autre — celui qui sourit à l’héroïne d’un regard romantique, au ralenti, la bouche remplie de chocolat, dans une parodie de sketch pour enfants. Symbolisant un autre ailleurs (le passé insouciant), c'est aussi ce que ce dernier lui offre en lui proposant de s'enfuir dans le nord, « là où il y a du travail ». Cette sacralisation du lointain, de la distance fantasmée (y compris avec son sujet) atteint un sommet d'indécence cinématographique lorsque, dans une scène de violence conjugale, l'héroïne s'imagine danser un ballet de comédie musicale avec son mari. Les coups de poings sur les os fragiles de cette femme et le viol qui s’en suit deviennent une farce romantique, le fantasme d'une réalisatrice très contente de son éclairage au point de faire s'effacer les bleus sur le visage de Delia. Scène indigeste de « petit malin » — ou petite maligne ici —, qui fait honte aux femmes battues en leur associant une médiocrité de pensée par la réduction à l'état de femmes massacrées, violées brutalement par leur mari alcoolique, mais qui rêvent d’une grande histoire d’amour, assises sur leur fauteuil et possiblement tachées de sang, devant leur divertissement du soir à la télévision.

Pourtant, l'ailleurs devient momentanément possible, lors d’un final à suspense digne des plus grands thrillers néo-noirs. Delia, décidée à prendre sa vie en main après avoir fait un attentat dans un commerce à l’aide du fidèle acolyte William le soldat, pour faire annuler le mariage de sa fille, semble prête à s’enfuir dans le nord, avec son amour de jeunesse. Bien que cela ne soit jamais clairement dit, tous les rebondissements insufflent cette tension (Delia a fui le domicile familial, donné à sa fille toutes ses économies...) jusqu'à la révélation finale : Delia s'affole non pas pour partir avec son amant mais pour aller voter pour la première fois et revenir comme une fille sage à la maison.
C’est là que le titre « Il reste encore demain » prend tout son sens, le futur devenant un énième refuge, un autre ailleurs incertain. Cortellesi prive son personnage de reprendre sa vie en main et, foutue pour foutue dans son vieil âge, la laisse seulement espérer une vie meilleure pour sa fille en allant voter pour on ne sait trop qui. Un bel exemple de désincarnation nihiliste sous couvert de progression (ne nions pas l'importance de l'accord du droit de vote aux femmes), qui est finalement moins un hommage au néoréalisme qu’au grand âge d’or du cinéma fasciste italien, celui des téléphones blancs, qui promettait une jolie histoire irréelle aux femmes italiennes afin qu’elles puissent rentrer l’esprit léger à la maison pour mieux endurer les violences quotidiennes de la sphère familiale et conjugale. On a beau nous faire croire que cette femme est une créature coincée dans un espace-temps d’après-guerre, il y a bien longtemps donc, mais elle existe toujours en réalité. A en croire Cortellesi, elle devrait peut-être simplement aller admirer le noir et blanc d’Il reste encore demain, être heureuse de pouvoir voter pour Meloni, espérer elle-aussi un futur meilleur pour sa fille en 2050, et rentrer mourir en martyre comme le Christ. Pitoyable.


Victor Abouaf

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