Critique du film Hunger Games : La Ballade du serpent et de l'oiseau chanteur

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Par Super Seven

le 21/11/2023

SuperSeven :

Du pain et des fables

On le regrette ou non, les univers young adult dystopiques ont déserté les écrans depuis quelques années après les calamiteux derniers opus de Divergente et du Labyrinthe. Si la qualité n’a pas toujours suivi, ces adaptations de sagas littéraires pour adolescents avaient pour intérêt d’être les derniers phénomènes d’un blockbuster politisé – parfois lourdement, parfois naïvement – dans un espace de production de masse radicalement confiné au lissage à l’ère du Marvel Cinematic Universe. La proposition la plus consistante de cette vague (et d’ailleurs couronnée de succès), au début des années 2010, a été celle de l’univers Hunger Games, qui chargeait avec une singulière violence un fascisme nourri à la société du spectacle.

Le nouvel opus, savante opération industrielle d’édition comme de littérature, choisit la voie de la préquelle, en racontant le parcours du dictateur-antagoniste principal au sein dudit régime à l’âge canonique du genre, alors que les jeux-titres sont à leur commencement. Premier argument de différentiation – et qui continue les mérites de la franchise initiale –, le récit replace son high concept schématique (des jeux du cirques sanguinaires télévisés, entre adolescents), dans une intrigue politique matérielle pour illustrer les modes d’opération du totalitarisme. Ici, le jeune héros Coriolanus Snow appartient à l’élite d’un régime balbutiant et fait office de tête pensante pour un pouvoir qui cherche sa formule de perpétuation. Si la fiction majoritaire a toujours conçu l’oppression fasciste comme un mal métaphysique, Hunger Games s’affirme ici, plus que jamais, dans la direction inverse : vulgariser ses contingences stratégiques, en regardant les rouages organiques de son établissement.
Le trope scénaristique manichéen se trouve dans l’évolution intime du personnage principal, tiraillé entre ses affects amoureux et amicaux (qui le conduisent vers la subversion) et le calcul tactique – qui le conduisent vers la violence et la trahison, et donc l’adhésion au système. Francis Lawrence assume d’ailleurs plutôt bien la dimension presque mystique de son parcours, en témoignent les saillies malickiennes (certes maladroites mais pas si malvenues) : grands angles en contre-plongée qui confrontent l’organique à la structure, contemplations candides de la nature quand il découvre l’alternative décroissante à la modernité politique que constitue l’administration à laquelle il s’apprête à participer. La deuxième partie du film est en effet consacrée à son exil dans le District le plus pauvre, où vit Lucy Gray, la candidate triomphante des jeux qu’il était chargé d’accompagner et dont il s’est amouraché – un ersatz de Katniss, héroïne originelle de la saga.
Or, si Tom Blyth arrive à insuffler un peu de densité à ces dilemmes parfois patauds, Rachel Zegler frise souvent le ridicule avec un personnage horripilant de chanteuse country-bohème qui réduit l’effigie des petites gens à une simplette rustique et entache beaucoup du sérieux que le film tente de mettre en place. De même, on n’échappe pas aux contraintes du genre : suremphase scénaristique pour concentrer le pavé de Suzanne Collins en 2h37, niaiserie romantique dispensable, scénographies d’action pas toujours heureuses pour tarir une soif de spectaculaire qu’il cherche à critiquer par ailleurs.

À l’instar de ses prédécesseurs, il faut surtout reconnaître au nouveau Hunger Games une angulation rare dans la conjoncture hollywoodienne des années 2020 et donc d’office intéressante. Rien de franchement révolté bien sûr dans cette relative réussite, mais pour une fois, rien de révoltant.


Victor Lepesant

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