Critique du film Huesera

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Par Super Seven

le 28/01/2023

SuperSeven :

Pas pour tout de suite la maternité

Comme le prouvent Watcher – également à Gérardmer cette année –, ou Saint Maud, grand prix du festival de Gérardmer en 2020, les réalisatrices s'emparent du genre ces dernières années, et, dans le cas des films suscités, pour le plus grand plaisir des spectateurs. Huesera, comme ses deux comparses, est à nouveau un premier long dont l’impressionnante maîtrise marque. Narration, cadres, lumière, tout est soigné et parfaitement agencé ; soyez rassurés, derrière cette affirmation bateau et quelque peu facile, il convient de rendre hommage à la richesse de ce film, nous sommes là pour ça après tout !

Pour résumer brièvement ce dont il retourne, Valeria et son copain Raùl attendent avec joie l'arrivée de leur premier enfant, mais la fête est bien vite gâchée par la venue d'un étrange démon qui tourmente la jeune mère en devenir. Est-ce toutefois là un démon au sens littéral et habituel ? C’est par cette interrogation que Michelle Garza Cervera offre un récit des plus réjouissants.

Délaissant l’horreur comme moteur ou point de départ pour en faire plutôt une parabole, elle entend proposer une analyse approfondie de la psyché de son personnage principal, en proie aux tourments liés à sa maternité inattendue. Il est vite clair que Valeria est entourée d'un cadre familial et sociétal bien précis, lequel l’a conformée à l'idée qu'une femme ne s'accomplit vraiment qu'en devenant mère. Or, c’est là qu’intervient malicieusement Michelle Garza Cervera quand, au travers de flashbacks développant son passé de jeune femme révoltée et en marge, elle remet en question toute cette vision rigide et étouffante. L'horreur s’incarne davantage dans la pression que la société exerce, consciemment ou non, sur les femmes, que dans un démon informe tourmentant au hasard une personne qui se trouvait simplement être là au mauvais endroit et au mauvais moment.

Surtout, Garza Cervera a l’intelligence de ne pas tout resserrer autour de Valeria, mais de la faire exister à travers ses relations humaines. Outre son lien maternel évident, un autre s’impose, celui qui se tisse avec sa tante, figure tutélaire et rassurante qui semble être passée par les mêmes tourments que sa nièce. La cinéaste économise les mots et se contente de gestes, de regards et laisse beaucoup de place au spectateur pour qu'il reste constamment actif devant son film. Une économie qui se voit accentuée au début par des scènes de balades, de travail, de vie quotidienne de Veronica, à l’ambiance proche de Trueba ou Rohmer, références forcément réjouissantes et inhabituelles dans le cadre de l’horreur.

Celle-ci se situe ailleurs, dans un rapport au corps palpable. Les os du démon craquèlent, lui se morcelle, à l'image de Veronica qui ne trouve pas sa place et la réussite qu'elle pensait accomplir en devenant mère. L'intervention de « sorcières » à la fin, dans le cadre d'un rituel au premier abord très étrange, trouve une pertinence totale tant cette culture est à la fois intimement liée au folklore hispanique mais également à une histoire de la féminité réprimée depuis des centaines d'années ; un lien très poreux déjà parfaitement exploré par Les Sorcières d'Akelarre de Pablo Agüero (2021). En résulte un habile jeu de formes : du corps lui-même (morcelé) à sa représentation par le miroir, reflet inversé tendu au personnage sur sa propre déformation, mais aussi par les prisons matérielles qu’elle construit (le berceau du bébé), signes avants coureurs du rapport avec son enfant.

Face à une telle prouesse pour un premier long métrage, une seule question s’impose face à Huesera : que diable faisait-il hors compétition quand des films comme Blood ou La Tour peuvent prétendre à des prix ? Une décision étrange, qui n'enlève rien au talent de la cinéaste, mais qui fait s’interroger sur l'état des personnes en charge des sélections à Gérardmer.


Axel Journet

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